le blog de Lika Spitzer

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Textes de jeunesse

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Adrien


Une fois était venu au café un être vivant inquiet, très gentil, avec des yeux transparents. Me voyant lire le Francion de Sorel, il m'avait parlé avec passion de Lazarrille deTormès.
Un autre jour, il était radieux : il venait de décrocher son CAPES d'espagnol. "Quand on peint comme il peint, a dit posément un ami, et qu'on laisse tomber la peinture, on n'est pas fier de passer son CAPES d'espagnol."
Et plus tard, sa femme, de raconter en son absence à qui voulait l'entendre comment il avait réussi - diaboliquement - à lui faire perdre toute l'année précédente... elle n'avait plus goût à rien, trouvait tout inutile, restait avec lui des nuits entières à se lamenter... heureusement elle s'était reprise, elle terminait sa médecine, quant à lui... Suivait ce souvenir : ne l'avait-elle pas trouvé un soir en train de faire des CONFITURES !
Les confitures m'ont marquée. J'imaginais des pots de grand-mère rouges, traversés de lumière au couchant, à l'heure où rentrait la mégère...
Il y a sept ans de cela. Je n'ai jamais revu Adrien.

Histoire de Petite-Alice

Petite-Alice avait envie de partir. Dans l'appartement, personne ne s'occupait d'elle, sauf pour lui signaler une tache sur sa robe ou l'heure du repas.

Aussi son professeur de français ne lui eut-il pas plus tôt conseillé quelques lectures, que Petite-Alice s'enthousiasma pour lui, et décida de placer ses jeunes années à l'ombre de l'érudition. Ses parents ne firent pas de difficulté et l'abandonnèrent au monsieur, qui lui apprit de la vie ce qu'il osait en saisir.

Mais Petite-Alice ressentit bientôt le besoin d'émotions plus rustiques. A la librairie-bistro elle rencontra un barbu sale et sympathique, berger en montagne avec sa femme et le plus robuste de leurs enfants. Adoptée, Petite-Alice abandonna Sarn et La Faute de l'Abbé Mouret pour fabriquer des fromages de chèvre sous le portrait de Giono.

Or l'hiver est rude en montagne, et le berger n'était pas consciencieux. Ils furent bientôt jetés dehors par moins dix ; et Petite-Alice vit le moment de trouver vite, pour son enfance un cadre plus confortable.

Elle opta pour un artiste-peintre au bord de la dépression (il possédait un grand lit), le quitta pour un couple de gais viveurs sur le retour, magnifiquement conservés par la danse et les cures thermales, puis fatiguée de cette vie se demanda où elle pourrait désormais poursuivre cette enfance interminable.

Justement, un certain Lans l'invitait à partager son deux-pièces-cuisine et son sens des responsabilités. Petite-Alice fit l'essai. C'est alors qu'un  matin elle vit dans le miroir, à la peau molle de ses joues poudrées que ses trente ans n'étaient pas loin, et trouva prudent de croquer une tablette magique.

Princesse

 — Allons, dit l'homme, retrouver celle que tu as laissée pour venir me voir.

Il donna la main à la princesse pour l'aider à se lever et à marcher dans les pierres sans trop abîmer sa cape brodée de lourdes perles.

Elle avait les chevilles délicates et trébuchait.

— Je vous assure, vous vous encombrez inutilement, disait-elle avec grande douceur et courtoisie. Cette fille ne va pas vous intéresser du tout.

Et elle suivait soucieuse, ses beaux cheveux blonds glissant en avant et lui cachant presque tout le visage.

— Vous le regretterez.

On ne lui répondait pas.

— Lâchez-moi, laissez-moi repartir. Je ne sais pas ce que je fais dans ces cailloux avec vous.

Mais il l'entraînait sans se presser.

— Lâchez-moi, vous m'entendez ?

Elle le suivait dans les larmes. Et comme ils arrivaient devant la fosse entrouverte, elle courut soudain se coucher dessus, et elle pleura tout haut et supplia qu'on ne l'approche pas.

— Vous n'avez pas le droit de rester là — pas le droit de  regarder ! Allez-vous-en !

Au contraire il s'approcha et la prit dans son bras, tandis que de l'autre main il cherchait dans la fosse... Et bientôt il les eût enveloppées toutes les deux dans le beau manteau et emportées contre lui comme ses enfants.

Les derniers nuages quittaient le ciel. Ils auraient le soleil couchant pour rentrer.


Fin pour Blanche-Neige

Chaque fois qu'elle voit un prince charmant, elle se soulève et tambourine de toutes ses forces contre la vitre. La plupart du temps le prince charmant effrayé par le bruit se sauve sans demander son reste ; mais quelquefois il est désinvolte : il vient tapoter la vitre pour inciter la petite furie au calme, et après un gentil sourire navré se retire prestement. Le plus souvent il est sévère : une princesse exposée à tous les regards quand elle est couchée cela porte un nom. Il se détourne de ce spectacle sans un mot.

Les bergères non plus ne sont pas tendres. Blanche-Neige n'est qu'une prétentieuse. Au début, par le trou d'aération du couvercle elles lui avaient glissé de quoi tricoter — avec un peu d'habitude on doit très bien arriver à tricoter étendu sur le dos — mais mademoiselle la princesse, sous prétexte qu'elle a un peu de verre autour du corps ne lève pas le petit doigt. Aussi, la voir frapper du poing contre le cercueil les fait rire de bon coeur et n'en manger leurs tartines qu'avec plus d'appétit.

A vrai dire, Blanche-Neige n'est pas toujours véhémente. Au plus fort de l'été quand le soleil tape verticalement sur le cercueil, il lui arrive même de perdre connaissance et de se laisser basculer contre le verre bouillant sans la moindre résistance. Et personne ne vient à son secours. Les bergères sont parties à l'ombre avec leur troupeau, et les princes charmants, déçus de ne voir de près qu'un objet de verre quand ils rêvaient d'étoile miraculeuse, tournent bride, indifférents au contenu du cercueil.

Les malheurs de Sottefille

Il était une fois une touriste égarée. Elle s'appelait Sottefille du nom d'une jeune héroïne de roman qu'elle avait admirée, et se traînait dans une sombre vallée.

Elle affirmait venir de X... (une contrée très riche). Et, comme les vieilles émigrées ruinées qui entassent dans leur pièce unique tout un bric-à-brac de meubles de style, elle gardait l'idée qu'elle était belle, gentille, intelligente, drôle, pathétique, vivante, pure, mûre, expérimentée, gracieuse, désirable, respectable, et, pour les personnes admirant les vertus du mal, capable à l'occasion d'être cruelle avec résolution, égoïste et dépravée.

La vieille ne fut pas impressionnée.

— Qu'est-ce que c'est que cet attirail.

— Des bijoux de famille, lui répondit-on. Ils valent très cher.

— Tu parles, croassa la vieille. Enfin venez vous asseoir à côté de moi ; d'ici on ne sent pas le vent ; vous passerez votre bras par là.

Et Sottefille s'assit.

— Vos parents auraient mieux fait de vous tricoter un chandail. A quoi vous servent ces amulettes dans un pays comme celui-ci. Si vous partez vers l'ouest, vous penserez à moi. J'y ai laissé toutes mes dents.

— Hh...

— Si vous allez dans le nord aussi, d'ailleurs, vous penserez à moi. J'y ai perdu les centres de locomotion, comment appelle-t-on ça, enfin vous me comprenez.

— Et si je vais dans le sud ?

 — Essayez toujours, vous verrez bien.

Bref, Sottefille décida de rester dans la vallée et de faire semblant d'y faire des choses extraordinaires.

C'est ainsi qu'elle buta sur un unijambiste déguenillé qui expliqua :

 — J'ai perdu ma jambe en allant vers l'est. Vous n'auriez pas, tout symbolisme mis à part, un peu d'eau ?

 — Eh non, lui répondit Sottefille. Je suis dans le même cas que vous. J'ai marché je ne sais combien de temps sans voir ni source ni puits. Et les torrents sont à sec. J'ai l'impression quelquefois que je n'en réchapperai pas...

Et elle déploya en l'honneur de l’unijambiste sa plus belle mélancolie chipée naguère à un quadragénaire découragé.

 — Essayez le concours, conseilla l’unijambiste, vous avez vos chances. Lisez l'affiche : Le concours du parfait amour.  C'est l'entrée.

— Très bien,  dit Sottefille. J'y vais.

— Par ici, fit un homme à casquette dont le teint flamboyant et les yeux brouillés montraient qu'il avait bu. Vous n'avez pas de manuel sur vous, rien ?

— Non, non, dit Sottefille.

Elle pénétra dans la cour d'honneur crasseuse, ténébreuse entre les hauts murs intérieurs de la Tour d'Eau-Vidée. Des gradins de fortune avaient été installés pour le jury formé en grande partie de femmes d'aspect sévère. Les candidates devaient avancer entre deux barrières de bois moisi jusqu'à l'endroit où elles allaient demeurer parquées, en attendant leur tour. Toutes mangeaient des yeux le comte d'Eau-Vidée, maigrichon dans sa tribune spéciale, et la plupart avaient des fleurs dans les cheveux.

— Soyez brèves, soyez brèves, répétait sans arrêt le gardien soucieux du mauvais temps.

Enfin ce fut le triomphe de Sottefille. Car quand elle en vint (un mot entraînant l'autre) à s'écrier, Ecrasez-moi, le comte fort intéressé descendit de la tribune pour réaliser bien exactement ce qui lui était demandé; si bien que de Sottefille après les ovations et l'orage soudain qui dispersa les participants, il ne resta pas grand-chose — quelques participants encore en vie avancent même qu'il n'aurait pas été nécessaire de l'enterrer.


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