le blog de Lika Spitzer

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Textes de jeunesse

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(Avant de remiser le cahier 7) Un discoureur

     26 08 75
     Un soir j'arrive chez Michèle. Elle était en train de regarder la fin d'un western célèbre (dommage, je ne me rappelle pas le titre) à la télé, avec des copains. L'un d'entre eux, exagérément galant, veut me faire une place auprès de lui, dispose des coussins, et je sentais sous ses gestes une misogynie sévère, une sorte de "assieds-toi, sois belle et tais-toi". Je prends une autre place en retrait et je regarde en silence.
     Contre un flanc de montagne escarpé, impressionnant, se livrait une bataille décisive, l'homme voulait trahir la femme pour sauver sa peau, elle au contraire le rejoint pour le protéger, il est perdu, il prend cette fidèle main dans la sienne, une balle le frappe, sa main s'ouvre... et le spectateur dont je parlais nous fait aussitôt un cours sur la grâce de cette main ouverte, le cadrage de l'image, etc.
     Ensuite on entend une musique prenante, et moi aussitôt je me fais du souci et j'ai raison : le type explique que la musique est magnifique. Ensuite (ou avant, je ne sais plus) on voit une église, un morceau de ciel, et il explique encore que c'est superbe et pourquoi.
     Bien sûr, il y a eu une dispute entre nous deux; lui, prétendant que l'intérêt de la télévision, c'était de permettre aux spectateurs de communiquer entre eux; moi, que ce qu'il appelait communiquer, c'était nous infliger ses impressions. S'il avait pensé, lui disais-je, que les autres étaient aussi sensibles que lui à ces beautés, notre complicité aurait pu être silencieuse. Il ne l'a pas admis. Passons.
     Ce que je veux souligner ici - c'est important - c'est que ce bavard-là n'avait aucune idée du nombre infini et de la complexité très grande des perceptions d'un artiste attentif (raison pour laquelle il renonce à s'expliquer tandis qu'ils perçoit). Si cet individu avait été aussi sensible qu'un Alain Lemosse (1), par exemple, il aurait été amené à parler dix fois plus vite qu'un commentateur de match; à la vitesse, disons, d'une bande magnétique déroulée - au moins.

(1) Alain Lemosse n'a pas su être un père pour notre fille. Mais c'est un grand artiste. Je ne sais pas ce qu'il est devenu. Je sais seulement qu'il a un site.  Nous sommes le 1er juin 2011.

    

Tirés de mon cahier 7 : Visages

15 08 75 
     Le film d'Ingmar Bergman La Prison exerce toujours son pouvoir.
     Elle a dix-sept ans, de grands yeux pâles, tristes et résolus, un front soucieux que toujours ride la surprise devant la cruauté, devant la tendresse.
     Ce visage, est-ce un hasard, est un peu le visage de la jeune femme  de Dies Irae  (Karl Dreyer) : dans les yeux clairs, jeunes et usés, la même surprise désapprobatrice à la fois enfantine et désillusionnée, la même sévérité directe du front plissé par la réflexion.
     Un processus de mort de déclenche.

16 08 76 
     On peut vivre parce qu'on ne trouve pas de raison suffisante pour se tuer. Ou bien, inversement se tuer parce qu'on ne trouve pas de raison suffisante pour vivre.
     Entre les deux, très exactement, très délicatement oscillant, se situe ce que je vois d'Henri C. ( Frère, dans mon Sardanapale)

10 10 75
     Dans le film de Robert Bresson Au hasard Balthazar, il y avait un âne et une fille très triste aux larges prunelles, grande et douce.
     Même devenu grand, un âne a toujours d'un enfant la tête grosse, les pattes pataudes et quelque chose de mystérieux dans sa docilité comme dans ses entêtements...
     Je crois comprendre que dans ce film l'âne figurait une enfance très triste, si triste que l'on ne s'en dégage pas.

Je me souviens...

Lans ne m'aimait guère - ne pouvant mieux faire. Je me souviens du temps où je bordais (mélancolie) ce grand lit poussiéreux rue du Bac... La seule chose belle était un film de Dreyer en noir et blanc, et aussi cette ville - Paris. L'été venait, mais il planait tel un cerf-volant dans le ciel - loin des yeux. Restaient les livres dans les renfoncements des rayons.
Je descendais faire les courses - il faisait lourd. Août murait les devantures de bois et de fer; la chaussée, les trottoirs, étaient vides, les arbres des quais tout au bout remués en rêve... Je ne pensais pas au bonheur en ce temps-là mais seulement, par jeu presque sans conséquence, à mourir.

En gare

Voilà voyons, dix ans, vingt ans que je vis dans une gare, ma valise à la main. Des marches de train j'en ai monté et descendu comme personne, j'ai poussé ma valise dans des couloirs et des couloirs. Mais je n'ai rien vu. J'ai vécu debout assise couchée sur un quai entre deux trains, entre les mécaniciens qui tâtaient la ferraille et les voyageurs qui arrivaient et partaient, parmi les valises des gens et le bruit de leurs souliers de voyage, dans le brouhaha des hauts-parleurs, le tintamarre des chariots de valises, les sifflements, grincements, entrechoquements de toutes sortes... J'ai fait pourtant des connaissances. Ils avaient des maisons, des familles, des métiers, ils s'étonnaient de me voir descendre.

                             

La chenille fiancée

 

J'étais une chenille à ventouses en quête d'amour. Triste et onduleuse. Honteuse.

Tantôt j’attaquais mes ventouses, tantôt les poils noirs de mon dos.

Sotte, me dit mon bien-aimé et nous nous fiançâmes. Quel papillon feras-tu si tu t'arraches tout.

 

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