le blog de Lika Spitzer

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Peut mieux faire (extraits)

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Ma pierre philosophale

     Pendant de longues années j'ai essayé d'obéir à ce que je croyais être le conseil de Tchékhov : travailler, travailler, gagner ma vie, malgré l'insidieuse tristesse qui se dégageait de son œuvre. Je croyais en ce temps-là - mon compagnon d'alors me le faisait assez sentir - que tristesse et lucidité étaient synonymes obligatoirement, au même titre qu'enthousiasme et divagation.
     En même temps cette bizarre mélancolie chez Tchékhov, mêlée de folles et vagues espérances concernant on ne sait quel avenir lointain, je pressentais qu'elle n'était pas obligatoire chez l'honnête homme, qu'elle venait peut-être là des cicatrices de l'enfance, et aussi de cette tuberculose dont très vite l'écrivain s'est su atteint.
     D'accord je voulais travailler mais avec passion plutôt qu'avec mélancolie et j'enviais les artistes qui expliquaient que travailler était pour eux une nécessité impérieuse à laquelle il leur était impossible de se soustraire. Chez ceux-là nulle mélancolie mais une ténacité d'insecte, une volonté de démon, une ferveur de saint. C'est à eux que je voulais ressembler.
     Je voulais croire, je voulais espérer qu'un jour moi aussi je découvrirais le besoin dévorant et constant d'un travail assidu. La passion de travailler était ma pierre philosophale. J'aurais tout donné pour la découvrir !

Mon choix

SAGE,   CALME,   VERTUEUSE   ET   PROSPÈRE  : telle doit se montrer la Suissesse.
J'ai préféré de venir française.

(Extrait de "Peut mieux faire", que mon amie libraire (Buchladaden, 3 rue Burq, à Montmartre) vend pour moi, déduisant la totalité de la somme sur celle des livres que je lui achète ! Une VRAIE libraire, qui peut consacrer trois quarts d'heure avec un client qui ... ne va rien lui acheter - oui, il y a des gens comme ça... Mais elle, elle aime son métier : la littérature, c'est sa vie.)

Et on remarquera que dans ce texte - le plus court du recueil - j'ai écrit "doit se montrer la Suissesse" et non "doit être".

Le bateau qui prend l'eau

On m'a donné un bateau qui prend l'eau. Il a bien fallu que je m'en arrange. Alors forcément mon système de navigation paraît bizarre. Il faut toujours que je reste au fond de la cale à écoper. Jamais je ne peux m'attarder sur le pont, mon fume-cigarettes entre lèvres et doigts, à rêver, comme je vois qu'on fait sur les paquebots qui me croisent.
D'ailleurs il n'y a pas de pont sur mon bateau, pas de cabine non plus, pas de tabac, pas de fume-cigarettes. Rien. Et si je me permets de rêver, l'eau se met à grimper à une telle vitesse le long de mes mollets que je pense certaines fois me noyer.
Pourtant je rêve d'une vie à deux. A deux, le travail serait plus facile et chacun pourrait se reposer à son heure. Un naufragé guetté par les requins serait content de trouver mon bateau, si rudimentaire qu'il paraisse. Et peut-être qu'il verrait le moyen de le réparer, qu'il comprendrait comment le... Hélas, j'ai encore rêvé, l'eau a monté.

Le nouveau système (placé ici après un commentaire chez Corto)

J'ai essayé plusieurs dizaines de systèmes pour me battre contre ma paresse. En vain. Chaque système avait pendant un temps sa petite efficacité mais à chaque nouvelle vague de paresse il fallait tout recommencer, tout réédifier qui s'écroulait toujours.
Ce matin l'idée m'est venue, puisque toutes mes matinées sont habitées par des remords de plus en plus grands à mesure que passent les heures sans que j'écrive une ligne ni ne corrige ou tape quoi que ce soit, l'idée m'est venue de m'interdire le travail d'écriture le matin.
L'effet a été extraordinaire. Car à midi moins cinq j'ai peu enfin être contente de moi, le premier matin depuis longtemps où j'aie réussi à m'obéir. Par cette méthode j'espère parvenir à couper aux remords qui, comme les édredons qu'on veut coincer dans une valise trop petite, tentent si je n'ai pas écrit le matin, de déborder sur l'après-midi, sur la journée entière voire.
Confiante dans ma nouvelle méthode de travail, j'ai passé ce matin plusieurs heures couchée à lire La chute, un crayon à la main pour souligner les passages que je trouvais pertinents, délassement studieux bien agréable. J'ai espoir dans l'innocence de l'après-midi qui s'annonce. Depuis vingt minutes déjà, je travaille à un texte où il est question de valises, d'édredons et se systèmes contre la paresse. Je suis tout à mon affaire.

Devant le couple Espace - Temps

Des infirmités diffuses de mon adolescence, il me reste un manque d'intelligence total pour le couple espace-temps. Pour moi, il y a l’espace d’un côté, et le temps de l’autre. J’y pense séparément. Leur lien est trop compliqué pour moi, il m’angoisse.

Je comprends alors comment doit se sentir celui dont on dit qu'il est bête : un tas de plomb parmi les oiseaux prêts pour l'envol et frémissants, et chacun le regarde surpris. Où sont ses ailes, ses plumes, ses yeux ?

Je sais bien qu'il me manque tout cela et plus encore, de sorte que je reste la dernière en ce lieu étrange a-mathématique, a-physique, le rien ? comme un jouet oublié dans le noir avec pour seuls compagnons ces antennes inquiètes qui écrivent au bout de mes doigts, se font du souci.

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