Petite-Alice avait envie de partir. Dans l'appartement, personne ne s'occupait d'elle, sauf pour lui signaler une tache sur sa robe ou l'heure du repas.

Aussi son professeur de français ne lui eut-il pas plus tôt conseillé quelques lectures, que Petite-Alice s'enthousiasma pour lui, et décida de placer ses jeunes années à l'ombre de l'érudition. Ses parents ne firent pas de difficulté et l'abandonnèrent au monsieur, qui lui apprit de la vie ce qu'il osait en saisir.

Mais Petite-Alice ressentit bientôt le besoin d'émotions plus rustiques. A la librairie-bistro elle rencontra un barbu sale et sympathique, berger en montagne avec sa femme et le plus robuste de leurs enfants. Adoptée, Petite-Alice abandonna Sarn et La Faute de l'Abbé Mouret pour fabriquer des fromages de chèvre sous le portrait de Giono.

Or l'hiver est rude en montagne, et le berger n'était pas consciencieux. Ils furent bientôt jetés dehors par moins dix ; et Petite-Alice vit le moment de trouver vite, pour son enfance un cadre plus confortable.

Elle opta pour un artiste-peintre au bord de la dépression (il possédait un grand lit), le quitta pour un couple de gais viveurs sur le retour, magnifiquement conservés par la danse et les cures thermales, puis fatiguée de cette vie se demanda où elle pourrait désormais poursuivre cette enfance interminable.

Justement, un certain Lans l'invitait à partager son deux-pièces-cuisine et son sens des responsabilités. Petite-Alice fit l'essai. C'est alors qu'un  matin elle vit dans le miroir, à la peau molle de ses joues poudrées que ses trente ans n'étaient pas loin, et trouva prudent de croquer une tablette magique.