le blog de Lika Spitzer

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La Mort de Sardanapale (extraits)

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Réveillon

Pour les gens qui m'entourent, ce soir c'est le réveillon. Je suis seule, et l'idée me vient d'imaginer une fête.

Il y aurait des sapins, du gravier, qui pour moi sert à faire le coeur qui attend battre plus fort quand il crisse. Le coeur qui attend c'est mon coeur, celui de la femelle en tablier de cuisine, les mains à essuyer, banale comme le houx...

Il y aurait la maison, aussi, que je vois indécente à force d'absurdité : des rouges et des verts inexpressifs étalés partout, des tas de petits carreaux propres aux fenêtres et des complications de mousseline devant... Des radiateurs, des rampes d'escalier vernies, des damiers fantaisie dans les lavabos aperçus le temps d'une porte entrouverte, des rires en bas, des conversations joviales, et zeste, une voix d'enfant, et le moment suivrait où il faudrait lever les pieds pour éviter les rails du train électrique.

Il y aurait la corbeille de fruits - noix, figues sèches, bananes, raisins élégants, pêches, pommes, ananas, noisettes, amandes, mangues, oranges, clémentines, kiwis, lychees - une corne d'abondance, un choc abominable de pays et de saisons. Réveillon.

 

Les convives mangeraient de tout. L'odeur de la dinde...

Il faut d'urgence craquer une autre allumette.

Il y aurait un feu de bois, nécessaire dans la vieille maison abandonnée où même les rats ne viennent plus. Un banc, une table, quelque chaise humide. Il y aurait le feu de bois. Ce serait Frère qui l'aurait allumé, tranquillement, sans me regarder.

Personne n'arrivera les joues roses, des paquets plein les bras. S'il y a quelque chose à grignoter, vous n'étiez pas là quand cela s'est acheté.

Frère connaît les cadeaux que je ne recevrai pas. Je courbe la nuque sur le thé qu'il m'a préparé ; j'entoure de mes mains le petit bol ; il me parle.

                                                                                                                                                      1974

 

La Mort de Sardanapale

Frère me tient empoignée par les cheveux ; serrée ; aimée.

Sa bonté est plus douce que, plus amère que, elle brise, elle apaise ; elle crée, elle tue. Sa méchanceté est un tigre de papier aux dents désolées, une épée, un couteau, un Brise-eau.

Moi, tête renversée j'ai les cheveux répandus, esclave préférée de Sardanapale, tuée déjà. Tout près de moi, son cheval blanc, le plus beau, et il ne le regarde pas.

Ces lignes sont la maison, l'étreinte si tendre, et l'enfant dans son berceau, et toutes ces années à vivre ensemble ; elles sont amères ces lignes, pour ce qui ne sera jamais, et douces, douces, en même temps, parce que le désespoir est le bonheur, comme l'espoir, les jumeaux de ses genoux. Alleluiah, qu'on amène les vins et les musiciens, qu'on dispose à la hâte des tréteaux chargés de nourriture où viendront se serrer les filles en jupons, les garçons, qu'on danse, qu'on rie, et qu'on s'amuse, qu'on boive, qu'on chante, il fait si bon dehors. Je ne le reverrai jamais.

 

Tendre et perdu le soleil

Ma faim est mon seul trésor, à présent. Elle a l'éclat secret des après-midi d'automne où l'on brûle les feuilles et le petit bois ; qui a allumé le feu ? on ne voit personne, on n'entend personne. Tendres et perdues sont les couleurs de la terre, des herbes vieillies, des cailloux ; tendre et perdu le soleil myope si petit dans le ciel.

 

Je l'ai appelé Frère

J'ai appelé Frère,

je l'ai appelé Frère, et il est venu sans rien dire.

De toutes parts, il me pénètre, et jusqu'au coeur. Les poings sur les yeux je pleure.

 

Il était une fois un porc

Quand ils ont décidé de le transformer en porc, sa mère n'a rien dit, et ensuite il courait à côté d'elle avec de petits cris. Il faisait beau, le soleil se couchait, quelles belles images. Il lui demandait encore de le prendre dans ses bras. Tu as trop grandi, disait-elle, tu es devenu trop lourd.

Mais il ne veut plus de son auge. Elle demeure là, solitaire dans le paysage, sa nourriture durcie semblable à un motif de nature morte.

Il était une fois un porc qui s'est laissé mourir de faim.

Il était une fois un porc qui pleurait et mangeait, et mangeait et pleurait.

 

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