Pendant de longues années j'ai essayé d'obéir à ce que je croyais être le conseil de Tchékhov : travailler, travailler, gagner ma vie, malgré l'insidieuse tristesse qui se dégageait de son œuvre. Je croyais en ce temps-là - mon compagnon d'alors me le faisait assez sentir - que tristesse et lucidité étaient synonymes obligatoirement, au même titre qu'enthousiasme et divagation.
     En même temps cette bizarre mélancolie chez Tchékhov, mêlée de folles et vagues espérances concernant on ne sait quel avenir lointain, je pressentais qu'elle n'était pas obligatoire chez l'honnête homme, qu'elle venait peut-être là des cicatrices de l'enfance, et aussi de cette tuberculose dont très vite l'écrivain s'est su atteint.
     D'accord je voulais travailler mais avec passion plutôt qu'avec mélancolie et j'enviais les artistes qui expliquaient que travailler était pour eux une nécessité impérieuse à laquelle il leur était impossible de se soustraire. Chez ceux-là nulle mélancolie mais une ténacité d'insecte, une volonté de démon, une ferveur de saint. C'est à eux que je voulais ressembler.
     Je voulais croire, je voulais espérer qu'un jour moi aussi je découvrirais le besoin dévorant et constant d'un travail assidu. La passion de travailler était ma pierre philosophale. J'aurais tout donné pour la découvrir !