Planté au milieu du jardin, aussi attirant que l'arbre de la connaissance du bien et du mal, c'était un cerisier qui produisait des cerises en abondance. Avant qu'elles ne soient mûres, je refusais qu'on s'approche de cet arbre. La petite fille envoyée par les voisins avec un panier avait dû repartir sans cerises, poursuivie par ma stupéfaction. Car l'année où nous étions allés quelques jours à Paris dans l'espoir que notre vétérinaire guérisse notre chat - en Lorraine on le déclarait perdu - les cerises avaient été toutes cueillies à notre retour : disparues.
     C'était le plus beau cerisier du coin. Chaque fruit, lourd, mais de pépin tout petit, exemplaire de fermeté, présentait de fines stries blanches parmi le rouge, de ces stries que l'on voit sur certaines pommes; les meilleures cerises que j'aie jamais mangées.
Nos quetsches, elles, pas très grandes, étaient excellentes aussi : pas du tout les grosses quetsches sans goût de notre autre voisine qui, la première année, avait proposé un troc de paniers pleins, au prétexte que les siennes étaient meilleures à manger, et les nôtres, parfaites pour la confiture. Mensonge. L'année suivante, nous ne nous sommes pas laissé prendre.
     Fameuses aussi étaient nos mirabelles. Quand elles étaient mûres, on étendait des draps sous l'arbre avant de le secouer, et elles tombaient en pluie. Nous les échangions avec un collègue des houillères, bouilleur de cru clandestin, contre de l'eau de vie de mirabelle.
     Mais rien n'égalait la splendeur et le goût de nos cerises. Les oiseaux n'osaient pas venir les manger, car le jour de notre arrivée en cette maison, au début de l'été, un merle avait aperçu notre chat. Il s'était mis à crier dans un arbre, on se demandait pourquoi, et une nuée d'oiseaux s'était envolée. Il avait crié d'arbre en arbre. Et sous nos yeux ébahis, en quelques instants, le verger était devenu silencieux. Nous avons regretté les oiseaux, c'est vrai. Sauf au temps des cerises.