Pour les gens qui m'entourent, ce soir c'est le réveillon. Je suis seule, et l'idée me vient d'imaginer une fête.

Il y aurait des sapins, du gravier, qui pour moi sert à faire le coeur qui attend battre plus fort quand il crisse. Le coeur qui attend c'est mon coeur, celui de la femelle en tablier de cuisine, les mains à essuyer, banale comme le houx...

Il y aurait la maison, aussi, que je vois indécente à force d'absurdité : des rouges et des verts inexpressifs étalés partout, des tas de petits carreaux propres aux fenêtres et des complications de mousseline devant... Des radiateurs, des rampes d'escalier vernies, des damiers fantaisie dans les lavabos aperçus le temps d'une porte entrouverte, des rires en bas, des conversations joviales, et zeste, une voix d'enfant, et le moment suivrait où il faudrait lever les pieds pour éviter les rails du train électrique.

Il y aurait la corbeille de fruits - noix, figues sèches, bananes, raisins élégants, pêches, pommes, ananas, noisettes, amandes, mangues, oranges, clémentines, kiwis, lychees - une corne d'abondance, un choc abominable de pays et de saisons. Réveillon.

 

Les convives mangeraient de tout. L'odeur de la dinde...

Il faut d'urgence craquer une autre allumette.

Il y aurait un feu de bois, nécessaire dans la vieille maison abandonnée où même les rats ne viennent plus. Un banc, une table, quelque chaise humide. Il y aurait le feu de bois. Ce serait Frère qui l'aurait allumé, tranquillement, sans me regarder.

Personne n'arrivera les joues roses, des paquets plein les bras. S'il y a quelque chose à grignoter, vous n'étiez pas là quand cela s'est acheté.

Frère connaît les cadeaux que je ne recevrai pas. Je courbe la nuque sur le thé qu'il m'a préparé ; j'entoure de mes mains le petit bol ; il me parle.

                                                                                                                                                      1974