Contente de rouvrir ce gros livre qu'on a failli ne pas me rendre. Mais là j'avais insisté. Il s'agit du Journal de Paul Léautaud. J'adore picorer de-ci, de-là, dans ces prés-là (choix paru au Mercure de France en 1968).
     Me voilà chez lui, le mercredi 13 juin 1923. Maurice Martin du Gard et Jacques Guenne entreprennent Léautaud pour ce passage : Libéré. Il est remarquable que le même mot s'emploie pour les soldats et pour les forçats; qu'ils voudraient voir caviardé. Et Léautaud :
     Je leur ai dit : "Quoi qu'on écrive, on contente les uns et mécontente les autres. Le chauvin est ridicule aux yeux des esprits libres, l'internationaliste est odieux au patriote. L'athée est odieux au catholique pratiquant et l'écrivain de sacristie est un tartuffe et un niais aux yeux du libre penseur. On n'écrit pas en s'occupant de ces choses. Le respect du lecteur ? Et le respect qui m'est dû comme écrivain et qui consiste à me laisser écrire librement ?"
     A la page de garde de ce livre, j'avais écrit au crayon :
     Ma société est parmi les artistes morts - ou lointains. Et aussi parmi les vivants VIVANTS, généreux, courageux, chaleureux; même s'ils n'entendent pas grand chose à l'art. Je n'ai pas la chance d'être soutenue dans mon travail par ceux qui m'aiment. Voilà sans doute pourquoi j'écris si peu - ce dont personne ne se plaint; pas même moi.