Dans l'art de perdre il n'est pas dur de passer maître;
tant de choses semblent si pleines de l'envie
d'être perdues que leur perte n'est pas un désastre.

Perds chaque jour quelque chose. L'affolement de perdre
tes clés, accepte-le, et l'heure gâchée qui suit.
Dans l'art de perdre il n'est pas dur de passer maître.

Puis entraîne-toi, va plus vite, il faut étendre
tes pertes  aux endroits, aux noms, aux lieux où tu fis
le projet d'aller. Rien là qui soit un désastre.

J'ai perdu la montre de ma mère. La dernière
ou l'avant-dernière des trois maisons aimées : partie !
Dans l'art de perdre il n'est pas dur de passer maître.

J'ai perdu deux villes, de jolies villes. Et, plus vastes,
des royaumes que j'avais, deux rivières, tout un pays.
Ils me manquent, mais il n'y eut pas là un désastre.

Même en te perdant (la voix qui plaisante, un geste
que j'aime) je n'aurai pas menti. A l'évidence, oui,
dans l'art de perdre il n'est pas dur de passer maître
même s'il y a comme (écris-le !) comme un désastre.


Ce poème a été traduit par Alix Cléo Rouaud, Linda Orr et Claude Pouchard.

Malheureusement, je ne l'ai pas encore trouvé en anglais.
Or Google - je viens juste de m'en apercevoir - en offre plusieurs versions en anglais. Me suis longuement arrêtée sur une photo d'Elizabeth Bishop, de profil - elle était jeune et grave - mais pour l'instant je n'ai pas su la placer ici. Demain, peut-être ?