mercredi, avril 21 2010, 18:05
Un hôtel jaune avec des volets bleus
Par Lika Spitzer - Journal - Lien permanent
"Je suis sensible, aussi, à l'affection que vous me témoignez, ma petite Hortense, et je vous la rends bien".
L'enfant avait été arrêtée par cette formulation étrange. Elle, sur la lettre à son professeur de sixième, avait raconté ses vacances, décrit l'hôtel où elle vivait, le chemin de la plage, les soirées dans le jardin, et avait terminé ainsi : "Je vous aime beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup !"
Perplexe, Hortense comparait ses "je vous aime beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup !" à la phrase bien tournée de son professeur, qu'elle se répétait avec dévotion. Elle voyait bien qu'elle n'aurait jamais su parler de ses sentiments de cette façon élégante et tranquille, s'efforçait donc de se réjouir, mais sans y parvenir. D'où pouvait venir ce brin de tristesse ?
En fait, elle était en train de découvrir que l'amour, quand on l'exprime avec certains mots choisis, peut sembler tiède, justement parce que les phrases qui l'expriment sont bien tournées, elle était en train de découvrir ce qu'autour d'elle on dirait plus tard de certains écrivains: "Il écrit très bien" ou "elle écrit très bien".
Ainsi, c'est ce jour-là qu'avait été déposé chez Hortense, à l'égard de cette appréciation, le germe d'une méfiance irrémédiable; à Siez, en août, au bord du lac Léman.
Une chose, pourtant, l'avait remuée dans ce courrier précieux. L'enveloppe écrite à son nom comportait un élément étrange. Au lieu de l'adresse, on pouvait lire : "Un hôtel jaune avec des volets bleus" ! La lettre était arrivée ! Mademoiselle Radureau avait su inventer, grâce aux descriptions de sa petite élève, un stratagème pour lui répondre, puisqu'Hortense avait oublié de lui donner ses coordonnées. Et le facteur avait fait le reste.
Tracé finement en encre violette, "un hôtel jaune avec des volets bleus" vous allait droit au coeur.
23 commentaires
Je trouve que la phrase du professeur est vibrante d'affection contenue. Elle n'aurait pas pu se permettre d'en dire plus sans éveiller la méfiance si ce n'est d'Hortense du moins de ses parents ! Cela me paraît un peu injuste de la comparer à ces faiseurs de littérature.
Oui, je comprends ce que tu veux dire, et tu as peut-être raison. Pourtant (puisque c'est autobiographique...) c'est ainsi que je l'ai vécu... Je n'avais pas l'babitude qu'on s'adresse à moi ce cette façon... littéraire.
Eh oui! L'important, comme d'hab n'était pas le contenu mais l'intention. Que ça arrive, que diable, que ça arrive, de toutes façons, qu'on sache que la réponse existait, au risque même que ce ne soit pas du tout celle attendue... Mais qu'on sache, du moins qu'on avait voulu répondre et qu'on était pas sourd! Je ne suis pas du tout celle que vous attendez , je ne vous dis pas du tout ce que vous voulez entendre, mais en tous cas, je suis là, et je vous réponds. Ciel! Que le monde serait plus agréable, si on se contentait d'essayer de répondre...
Tu as dû peiner, Charlotte, pour envoyer ce billet, car je l'ai reçu... en quatre exemplaires ! Et moi aussi j'ai peiné pour comprendre de quoi tu me parlais. Quand j'ai compris, j'ai vu que tu as raison.
J'aime bien l'adresse qui change des noms de rues souvent mal inspirés. Quand à la relation élève enseignant c'est toujours compliqué et tu as su l'exprimer en quelques lignes, ça c'est du talent, certains en auraient fait un roman. Tu sais j'ai eu un courrier dans ma jeunesse à l'adresse :" Raymond quelque part au Kef", le plus rigolo c'est qu'il est arrivé à destination.
Pour marraine elle attendra un peu que l'image se précise dans ma tête, en attendant je fais un deuxième grand tableau qui prend du temps.
Bises à vous deux.
Tel que je te connais, on devait déjà savoir qui tu étais... vous voyez bien, ce Raymond qui adore les discussions musclées...
Quant à" Marraine", si l'image ne se précise pas encore dans ta tête, c'est que je n'en ai pas assez bien parlé...Pour t'aider,je ne peux ajouter que ceci : elle était coiffée (si on peut employer ce mot pour elle) d'un vague chignon couleur de serpillère (plus le temps passe, plus je l'adore...). Radin comme elle l'était, elle ne devait pas souvent aller chez le coiffeur, et j'imagine l'état de ses peignes et brosses, une fois quelle s'en était servis... devant le miroir ?
Le professeur a répondu de sa place de professeur à l'élève Hortense. Et me message est
arrivé a destination.
Et Hortense , en découvrant la réponse se souviendra et écrira beaucoup, beaucoup,
beaucoup.... et bien.
J'aime l'équilibre de ton commentaire, Colibri. Merci.
Chère Lika, un tableau c'est comme l'écriture et la cuisine il faut savoir laisser mijoter, mettre les bonnes épices dans une recette au risque de trop faire cuire ou servir cru,trop épicé ou pas assez.
Bises
Une suggestion pour "Raymond" : laisser tomber le portrait de cette horrible marraine et remplacer par la peinture de cet "hôtel jaune aux volets bleus" !
J'aime votre texte et Mademoiselle Radureau est très classe. N'en déplaise à votre souvenir d'enfant.
Ok, OK, mais vous ne savez pas tout, Norma J. Et je vois que, hors "écriture", vaut mieux que je la boucle (cf. modèle, etc.... : je cours dans l'autre texte pour commenter votre histoire de scotch).
Pas mal, cette idée, Putzi Ouane. Avez-vous été regarder ses peintures ? C'est un Niçois à globules rouges. J'aime son marché du Cours Saleya.
jolie petite comptine.....
as-tu reçu mon mail?????
Il faut absolument que je retrouve cette histoire merveilleuse d'une carte postale qui fut envoyée par une fille en Nouvelle Calédonie et d''un facteur jardinier kanak qui dut apprendre à lire le français en écoutant en cachette la maîtresse enseigner aux enfants, pour tenter de retrouver l'expéditeur afin de l'avertir que le papa destinataire était mort...
Oui, Euphrosine, j'aimerais bien la lire, cette histoire... Merci. A bientôt...
Effectivement cet hôtel à volets jaunes évoque déjà une peinture. Curieusement je suis passé à l'autre bout du monde la semaine dernière devant un hôtel ressemblant à cette description. Il se trouve sur les bord du lac Michigan ... Étrange hasard.
Faire un tableau de la marraine devant un hôtel à volets jaunes attablée devant un lac et sirotant son thé, ça peu être intéressant non ?
Bien sûr, Raymond, tu es libre pour la couleur des volets, pour le lac, tu peux asseoir la grosse "Marraine" devant de gros gâteaux ou même d'énormes cocktails colorés, mais je te signale que ce sont les murs qui sont jaunes... On change leur couleur aussi ? Allons-y ! Du moment que le tableau se fait... Bise - grosse, elle aussi : grosse bise !
mais y a foule ici maintenant! très content pour toi lika, j'ai beaucoup aimé ce billet jaune et bleu
Oui, à "l'hôtel jaune" il y a du monde, mais c'est exceptionnel, et bien sûr je suis contente qu'on me parle. Merci de me parler, toi aussi aujourd'hui ! Je vais aller voir chez toi si c'était un dimanche ensoleillé. Nous, c'était pourri à Paris. Le froid et la pluie. Mais ma copine chanteuse, Danielle Saban, était si chaleureuse au Jazz Cartoon... Et il y avait une tarte "façon Poilâne" qui m'attendait à la maison - oeuvre de mon héros. Bref, tout baigne...
Ma-gni-fi-que !!!
Décidément, je ne vais pas pouvoir lire trop longtemps, parce que je vais me retrouvée toute cuite sous les émotions que tu allumes. I just cry.
Tu sais, vagabonde, que je me suis fait chambrer avec ce texte... Alors, ton gros compliment, eh ben, j'en suis contente. L'autre texte où je me suis fait critiquer, c'est "Amants"... Wouaouh ! Heureusement le chevalier Raoul est arrivé sur son beau cheval !
Si on te chambre avec ce texte, c'est parce que c'est pas de la merde !
C'est pas donné à tout le monde de pouvoir attendrir les âmes avec des volets bleus... Qu'il en prennent de la graine et au boulot !
Je vais chercher "les amants" pour voir qui est ce preux Raoul !
Je t'embrasse