Comme de ma grand-mère, de la Suisse maman dit platement du bien. Mais vaguement, comme si elle ne parlait que de l'air de la Suisse, ou de son gazon. À moins que la Suisse des riches ne soit justement que ce gazon sans terre, ce linceul décent étendu sur un corps caché ou absent.

Je n'ai pas envie d'aimer cette Suisse. Telle que ma mère me la décrit, c'est un lieu sage et triste, un lieu inodore, dont on parle avec respect en baissant la voix, mais où aucun être jeune ne pourrait avoir l'idée d'aller s'installer pour commencer une vie nouvelle et encore moins pour gâcher plus follement l'ancienne.

La Suisse est le calme cimetière où dorment les morts de notre famille et les vivants indifférents à notre destinée. Et c'est notre pays. Nos passeports portent sa marque : une petite croix nette, blanche, découpée soigneusement dans le rouge brutal de la couverture cartonnée.