mercredi, février 16 2011, 10:47
Un soir à Shanghai
Par Lika Spitzer - Journal - Lien permanent
Je ne peux même pas dire que Emmanuel Lévinas ait tort en ce qui concerne la précocité du sentiment de responsabilité, dont il affirme qu’il précède la notion du moi.
J’en suis seulement venue à me dire que les premières années de cet homme, comme les suivantes, ont probablement été si différentes des miennes qu’il n’y a pas à s’étonner. Mais ce qu’il a martelé à longueur de livres me passe au-dessus de la tête. Car même après ma majorité, le mot responsabilité restait pour moi une pierre d’achoppement, dont certaines faces, malgré mes efforts, persistaient à demeurer cachées.
Par contre, je sais quand est né le sentiment de mon moi.
C’était un soir de fête à l’orphelinat de Shanghai. Deux de nos institutrices, Violet et sa sœur Lily, offraient Swanee River aux spectateurs Américains. Cachée derrière un rideau avec les autres enfants, comme j’écoutais ce chant, ses paroles et sa mélancolie m’ont traversée à la façon, pourrait-on dire, dont l’orage avait fait naître la créature de Frankenstein. Non, c’était plutôt quelque chose de tendre qui vous broie le cœur : fait naître votre âme ! Le violon de Violet et la voix de Lily s’adressaient à un être humain qui était moi. C’était la première fois. On chantait ma détresse.
Car avant ce soir unique, je n’étais que peur et stupéfaction, et désir égaré de protection. Un petit animal, en somme, qu’on avait remisé à l’âge de quatre ans chez les tout-petits, quand ma sœur protectrice, d’un an seulement plus âgée, était chez « les grandes ». Un petit animal qui apprenait docilement sa quatrième et dernière langue, sans avoir de « moi » à proprement parler.
Comment le mot responsabilité, dans ce chaos impensable qu’était mon enfance, pouvait-il avoir le moindre sens ?
4 commentaires
Oh! On dirait une nouvelle Lika qui écrit? (Ne me demande pas pourquoi, c'est quelquechose, un infime différence que je sens, mais que je serais incapable de définir avec des mots...)
Crois-tu vraiment, eyphrosine ? J'aimerais bien que tu trouves les mots... Ensuite, je te dirai. Là, je file m'acheter mes Nicorette, avant que ne ferme la pharmacie... J'aime quand tu es là.
Aïe ! : je n'avais pas validé ma réponse ! Il est tard, et Nora, notre chatte, s'est laissé enfermer dans le studio de doublage de films, juste en face de chez nous dans la cour ! D'habitude ils laissent une petite fenêtre ouverte. L'angoisse. Faut attendre demain matin. Et rien de sûr.
Je ne saurais dire : à la fois une écriture de style "essai", démonstratif, presque sec, mais aussi toujours présent ton style patte de velours, petites touches simples et limpides où je t'imagine déguster chaque mot pour décider si c'est le bon ou non, si sa saveur portera bien l'émotion que tu ressens et que je ressens pareil que toi (peut être? ) au moment où je te lis.
J'espère que l'aventure cinématographique de Nora se sera terminée en "happy end"!
Tu arrêtes de fumer, ou tu aimes les nicorettes? Hihi...
euphrosine, c'est plus simple que ça : si une pensée me titille, le besoin d'écrire s'éveille, je vais prendre mon cahier, et "j'y vais". J'essaie de dire les choses le plus exactement possible, avec le moins de mots possible. Cela, je vois que tu l'as décelé. "Construire" un texte me fait du bien. Chaque nouveau petit morceau comble les trous du puzzle. Et si cela touche un lecteur, quelle joie, n'est-ce pas. Voilà, voilà.
A 7:30 nous avons appelé Christine qui travaille dans le studio et a les clefs du royaume. A 8:30, elle arrivait avec son gros chien Nougat.J'ai été chercher seau et serpillère pour éponger le vomi - dû probablement au stress. Mais Nora n'a pas fait ses besoins. A peine arrivée ici, elle 'est précipitée sur la litière, puis sur son déjeuner. Là, elle dort à côté de moi, sur son arbre à chats.
Merci encore de ta présence, euphrosine, dis-je avec ma Nicorette dans la bouche ! Fumer ne me dit plus rien. Mes poumons me remercient. Le dentiste, lui, garde ses pensées pour lui : ce n'est pas un moraliste. Il est adorable. Bisou, amie.