Une fois encore - et je comprends qu'il en sera  peut-être ainsi jusqu'à la fin - est tombé sur moi ce temps mort où je refuse que rien ne me pénètre, ni lecture, ni musique, ni spectacle, ni discours. Rien. Devenue bloc hostile sans nulle fenêtre (sans même trace de fenêtre), sans porte, sans serrure, sans perméabilité aucune,  tout ce qui me passionnait juste avant - les cantates de Bach, les romans de Joseph Roth, "L'Idiot, roman préparatoire", de Dostoïevski, les poèmes d'Emily Dickinson, ceux de Reiner Kunze - tout cela s'agglomère en un tas informe, inerte, étranger. Dans les tombeaux des pyramides, le défunt entouré des objets de sa vie semble plus vif que je ne suis en ces moments où mon moi, tapissé de refus, assiste impuissant à son incompréhensible atonie.
C'est alors que, si j'ai réussi à saisir mon cahier et à exprimer cet état, je puis, timidement, accepter d'écouter la cantate "Ich hatte viel Bekümmernis"; et tout se remet doucement à palpiter, mes écoutilles s'entrouvrent, laissant Bach venir me secourir, et je puis même avoir la curiosité d'aller regarder dans le dictionnaire ce que signifie "Bekümmernis", et enfin, vite, car il va sentir le moisi, aller étendre le linge mouillé gisant depuis la veille au fond de la bassine pour courir, ressuscitée, à l"Epicerie "La courte Echelle", en retard bien sûr, mais énergique, gaie; heureuse de servir les clients, de bavarder avec eux et les autres bévévoles.
Comment traduire "Ich hatte viele Bekümmernis ? Je crois comprendre que c'est la cantate d'une affliction surmontée. Gisela me dira si je me suis trompée.