J'ai décidé hier de commencer chaque jour ma journée de travail par la traduction des poèmes d'Emily Dickinson.

- Oui, mais je n'ai pas pris mon bain, me suis-je dit ce matin.
- Qu'importe, me suis-je répondu. (Ce "je"-ci, vous l'avez compris, est la voix de mon surmoi - flambant neuf.)
- Si le gars de La Poste arrive... (Et là, c'est la voix de mon vieux moi endommagé.)
- Tu le reçois en robe de chambre et tu retournes à ta table.
- Alors pas de gym ?
- Je te connais. C'est non. Car tu voudras aller te laver après, te faire un shampooing,  te tartiner de crèmes pour le visage, pour le corps, et je ne parle pas des ongles. C'est non.
- Oui, mais tu sais que si je n'écris pas tout de suite ce que je dois écrire, je perds de mon naturel. Je sais cela depuis plus de quarante ans. L'écriture a toujours été prioritaire...
- Silence !
- Et ces lettres que je dois écrire au radiologue et à mon médecin traitant ? C'est urgent, quand même !
- Tu les écriras après ton travail sur les poèmes de Dickinson ! La levée n'est qu'à sept heures du soir ! Tu as tout le temps. Ne te moque pas de moi.
- Oui, mais la femme de ménage va venir et je n'ai pas encore rangé tout ce qui traîne pour qu'elle puisse passer l'aspirateur.
- Je vois. Et ensuite, tu  vas te mettre à laver les sols de la salle de bains, à nettoyer la cuvette des toilettes en prétextant qu'elle n'est plus toute jeune. Tu fais rigoler tout le monde avec ta femme de ménage.
- Oui, mais...
- Et surtout, surtout, SURTOUT, je suis fatigué de tes "OUI, MAIS" ! Je ne veux plus en entendre un. Compris ?

Résultat, je suis allée travailler le poème 1010. Un poème difficile, je trouve. Et j'ai adoré accomplir ce travail.
(Quand je pense que mon professeur de philosophie me disait que je n'avais pas de surmoi... )