Pendant le prêche, je regardais le pasteur avec sévérité, et mes yeux lui disaient, Tais-toi, tais-toi ! Descends de là ! Mais il continuait, continuait, parlait de l'enseignement "merveilleux" de l'Evangile, de la vie, de la mort, de la douleur, comme si la vie, la mort, la douleur n'étaient que des guirlandes qui décoraient les préceptes de la foi.

Ensuite il y a eu les cantiques, et cette femme en grande cape surgie en retard, qui m'avait bousculée pour se placer à côté de moi, et glapissait aussitôt avec résolution – presque en avance sur la voix qui dans le micro donnait le ton et conduisait l'allure des chants. Elle avait une canne neuve, qu'elle avait jetée sur sa gauche en arrivant, presque entre mes pieds.

J'essayais de montrer à cette figure de proue mon antipathie, en grimaçant  douloureusement dès qu'elle entonnait un nouveau cantique, elle devait entrevoir cela de profil, comme moi j'entrevoyais son énorme turban, son maquillage de théâtreuse. Et qui donc pleurait-elle ? un collègue ? le mari d'une belle-soeur ? On aurait plutôt dit qu'elle assistait à une remise de médaille.

Quelque temps avant l'enterrement du père de Jacques, il m'était arrivé de caresser l'idée de devenir un jour protestante - rigueur et probité me semblant plus fréquents chez les protestants que chez les catholiques. Mais ce temple m'a glacée : un tombeau; et au fond, pour le tapisser, une foule grise, morne et cravatée, les visages aussi maussades que dans le métro. Où étaient les amis chers ? Tout à fait devant, sans doute, car au centre du temple, on n'en devinait aucun. Moi-même, je n'étais que la soeur d'une vieille amie absente.

 Et puis est venu le moment où les participants sont sortis des rangs l'un derrière l'autre pour aller faire un signe de croix sur le cercueil recouvert d'un glorieux drapeau bleu-blanc-rouge à superbes pompons. Comme mes voisins de banc, j'ai été longer la haie de porteurs de drapeau au garde-à-vous, puis, chacun réglant son pas sur le pas de celui qui le précédait, freinés discrètement par l'orgue invisible, nous nous sommes disposés pesamment à sortir du temple pour offrir sur le seuil nos condoléances à la file immobile des parents endeuillés.

On l'avait assise. J'ai compris qu'il s'agissait de la maman de Jacques, l'épouse du disparu. De grands yeux bleus interrogateurs, un peu tristes, qui acceptaient... Ce visage auréolé de cheveux blancs trop légers, levé vers moi, m'a émue. Jacques s'est penché vers sa mère, lui a glissé à l'oreille "c'est Mercedes, la soeur de Marianne..., tu sais nos amis de St-Etienne...", elle a acquiescé, je me suis penchée pour l'embrasser, et lui ai chuchoté " je suis triste pour vous".

Une fois relevée, je me suis tournée vers Ginette, l'épouse soucieuse de Jacques, qui m'a serrée dans ses bras, "Merci d'être venue !" et je suis passée furtivement devant l'alignement des frères et soeurs de Jacques, devant leurs enfants presque adultes, comme eux le visage détourné – nous ne nous connaissions pas – , coupable à l'idée de peut-être mal me conduire, mais déjà les trottoirs de la ville étaient là, clairs, les places, les rues, le ciel, c'était fini.

                                                                                                21 05 94