"Il y a des années, je devais avoir dans les dix-neuf ans, je jouais pour la première fois la Sonate OP.109 de Beethoven [...]
L'Opus 109 n'est pas une oeuvre particulièrement éprouvante ou difficile sur le plan technique, à l'exception d'un seul moment littéralement épouvantable, comme vous le savez peut-être, et qui est la cinquième variation du dernier mouvement. Il s'agit d'une fughetta.; c'est en ce sens la variation la plus violente du cycle. A un endroit, il y a un passage ascendant en sixtes diatoniques, qui survient au moment le plus malencontreux, pas seulement à cause du rapport touches noires-touches blanches, mais parce qu'il se situe environ deux octaves au-dessus de la partie centrale du clavier, là où les problèmes de répétition des notes apparaissent de la manière la plus aiguë, du fait de la configuration du piano moderne. C'est à cet endroit précis que le dessin en sixtes se change en un dessin en tierces. Il faut opérer ce changement au quart de seconde. Chaque fois que j'ai entendu jouer cette oeuvre, le pianiste ressemblait en cet endroit à un cheval qu'on aurait sorti d'une grange en feu - une expression de terreur emplissait son visage et je m'étais toujours demandé pourquoi."

Récit de Glenn Gould, tiré du livre de Geoffrey Payzant : GLENN GOULD Un homme du futur, paru chez Fayard en 1978