lundi, avril 12 2010, 00:32
"Marraine" ch 52
Par Lika Spitzer - Le tournesol de Davos - Lien permanent
Elle arrive chez nous à Nice un peu avant Noël, et sans cadeau pour nous. On nous explique, à ma soeur et à moi, que Marraine n'est pas notre marraine à nous, mais seulement la marraine de notre cousine Inès, et qu'en conséquence, seule Inès a droit à un cadeau. Bien sûr, nous sommes invitées à l'appeler Marraine aussi, comme tout le monde à la maison (sauf Reine), mais il faut savoir que c'est en pure perte.
Inès, Inès seule, insiste pompeusement Marraine, sera l'héritière de ses bijoux – lesquels me semblent un peu à l'image de leur propriétaire, c'est-à-dire à la fois ternes et tarabiscotés, ce bracelet de turquoises en forme de losanges par exemple, une douzaine de turquoises vivantes, et deux ou trois mortes dont je me demande si elles vont continuer comme ça à mourir ouvertement sur le bracelet, l'une après l'autre, glissant du bleu au vert, avant Marraine. On pose des questions à Marraine, et elle répond sans compter, jamais avare d'explications.
Et pourtant on ne trouve rien dans toutes ces paroles qui puisse servir d'indice pour savoir si Marraine est une personne bienveillante ou non. Je lui tourne autour, un peu comme un amateur de champignons indécis. Un gros champignon en vérité, et qui vous remplit un panier. Car Marraine une fois installée dans la chambre de tante Nivès pour l'hiver, tout le monde à la maison semble plus à l'étroit, peut-être à cause de cette grosse voix qu'on entend sans cesse.
On lui a raconté que j'ai de bonnes notes en rédaction. J'ai donc droit à de longues tirades particulières de Musset, le Musset des Poésies, que feu son mari adorait, et que Marraine entrecoupe de compliments extasiés sur la culture de ce mari exceptionnel, son hypersensibilité, son élégance, etc. Malheureusement, au lieu de se trouver comme elle le croit transformée par la lecture des Poésies, c'est le contraire qui est arrivé : le Musset de Marraine a fini par lui ressembler à elle; et du coup personne à la maison n'a envie de le connaître.
– Oh, elle me fatigue… elle n'arrête pas, se plaint ma grand-mère.
– Moi aussi, elle me fatigue, dit Reine qui l'appelle Le Grenadier du Massif central et déteste son gros appétit.
Pauvre Marraine, elle n'est guère gracieuse aussi… Tout en elle fait penser à la pomme de terre; surtout le nez, sans narines en quelque sorte, fendu vers le bas à droite et à gauche, la même fente presque que celle qui troue les longues oreilles ornées de délicates boucles d'or.
En attendant, les objets précieux qui parent Marraine, s'ils ne la rendent pas plus belle, du moins ont l'air de lui assurer quelques égards, elle y veille, cependant que notre considération à nous, les enfants, lui vient de la victoire insolite qu'elle remporte chaque jour sur la mort en continuant à dévorer à chaque repas quand sa place l'attend au cimetière de Neuviccomme elle le rappelle entre deux bouchées.
21 commentaires
Ah! les marraines...On sait ce que c'est...Les attentes qu'on projette en elles, les vertus qu'on leur prête, le mystère de leurs origines... La mienne m'a sauvée du désastre, à défaut de me réhabiliter tout à fait. Il y a aussi celles qu'on se choisit, en dépit ou bien à cause de leur illégitimité, , et puis celles qui vous choisissent par goût à moins que ce ne soit par inclination réciproque; mais ce sont toujours des cas à part, , et dans un rôle où on est toujours moins mauvais que celui de parent... chère marraine... Comme j'aimerais en être une! même si on se moquait de moi, ce serait toujours avec tendresse...
Réhabilitation ? On en parle beaucoup en ce moment. Est-ce bien le mot, Charlotte ?
L'épouse de ton parrain, tu l'appelais ta "parraine". Cela devrait être repris par le Grand Robert... On lirait :" Parraine : épouse du parrain, exerçant - notamment après le décès de celui-ci - les responsabilités qui incombaient jusque là à son mari." Et on aurait du coup le mot "marrain" : époux de la marraine. Exerçant, etc.
Ah que voilà un enfant bien entouré, protégé des rayons agressifs de la passion parentale par l'ozone de l'affection marrainale (le Robert s'enrichit...)
Car dans le Grand Robert, figure-toi que le mot "parrainer" est directement suivi par le mot "parricide" !
Chère Lika, tu as parfaitement raison, libération convient beaucoup mieux! D'ailleurs , dans le Robert, vient ensuite libératoire, comme la monnaie..De bien petites choses en somme mais dont j'ai eu grand besoin. Pour ce qui est du marrain, c'est effectivement le terme qui était prévu dans ma famille, mais je n'ai malheureusement pas eu le coeur de l'appliquer à l'individu en question, n'ayant pu trouver dans mon intuition les ressources nécessaires de tendresse... On reste quand même responsable de ses choix! Parce que- tu en es, tu en as, un exemple flagrant, les marraines( même trans générationnelles en ce qui te concerne), ça se répudie aussi! je t'embrasse affectueusement. P.S: je reste sidérée par la force transperçante de tes intuitions!Et aussi ta mémoire...
De quelles intuitions parles-tu, chère Charlotte, que je puisse savoir de quoi je vais pouvoir me rengorger... Quant à ma mémoire, c'est justement mon point faible." Le Tournesol de Davos" a été fabriqué avec, quelquefois, des textes très anciens, une mosaïque que j'ai reconstituée en traversant je ne sais combien de cahiers. Par exemple, j'avais complètement oublié que le bracelet de "Marraine" était composé de turquoises en forme de losange... Et maintenant je consulte mon agenda dix fois par jour...
Chère Lika,
En lisant ce texte portrait, je ne peux pas m'empêcher d'imaginer un tableau de Bottero, tu vois même dans l'écriture on peint, l'inverse s'applique également. Beau texte belle ambiance, il y a dans cette nostalgie dépeinte tout simplement de la vie, une belle tranche de cette vie.
Bises
Cher Sarchlo, merci d'avoir apprécié. Te rends-tu compte qu'il a fallu que je fabrique ce texte (c'est du boulot, tu sais, d'essayer d'être le plus véridique possible en creusant les souvenirs des impressions d'autrefois) pour me rendre compte que cette "Marraine" était une personne totalement égocentrique, sans coeur.
C'est sympa d'être venu me rendre visite sur mon blog... Ton avion a donc évité le nuage noir... Moi, j'espère être encore éveillée à 2h du mat pour le guetter. Bises à G. J'ai beaucoup pensé à elle, aujourd'hui, et à sa ..."gentille" vampire sournoisement manipulatrice... J'ai horreur de sentir les gens que j'aime en danger. Je t'embrasse aussi, p'tit frère....
Un Tableau de Bettero, "Marraine" ? Tu lui fais beaucoup d'honneur. Quoique grosse, elle était d'un terne...j'te raconte pas... Toi, j'adore tes couleurs.
A l'occasion, en lisant ton texte j' essayerai d'en faire une peinture, le résultat pourrait être amusant et lui donner de la couleur qu'elle n'a pas eu.
Bises.
"Raymond" qui va faire une peinture du "Grenadier du Massif Central" ?
L'idée ne me sied guère sauf si c'est un très mauvais peintre !
Ah je vois que notre Putzi Ouane veut qu'on saccage la pauvre Marraine, qui le serait assez si on se bornait à faire une peinture vraiment réaliste (on en a parlé ici, hein : Picasso, peintre réaliste...) Mais il se trouve que Raymond, tel que je le connais, serait fichu d'en faire une grosse sympathique. Quand même, je suis curieuse de voir ça.
Mon ordi déconne. Peut-être vais-je rester quelques jours - qui sait - sans pourvoir rien faire. Il s'allume et s'éteint toues les minutes. J'écris "entre". Indugence souhaitée
Mon ordi, c'est pareil ! Il faut que je le rallume 50 fois par jour ! Parfois, alors que je suis en train de lire un article, il devient noir-charbon !
Au cas où on devrait les remplacer, peut-être qu'on pourrait avoir un prix de gros ?
La traiter de rombière serait encore un compliment.
L'épaisseur de sa bêtise n'a d'égale que la profondeur de sa satisfaction.
On se demande bien qui a pu la désigner comme Marrainne ?
Quant au lecteur qui veut en faire un portrait à la Botéro, les mystères de l'inspiration me laissent muette... Je l'imagine plutôt pétant dans son lit comme un "grenadier du massif central" en soupirant d'aise qu'elle a quleques vents...
Je suis d'accord avec la viocque, berk, berk, berk.
Je vois que vous la sentez bien, cette "Marraine"...
Une marraine à vous donner envie de devenir athée !
Non,Blue Jam : juste agnostique... Bonne nuit !
Agnostique, athée tout ça c'est synagogue !
Mais pas du tout, Putzi Ouane !
J'ai le plaisir de constater que Le Grand Robert exprime mieux que je ne ferais ce qu'est l'AGNOSTICISME :"Doctrine qui considère que l'absolu est inaccessible à notre connaissance, ou écarte les spéculations métaphysiques comme inutiles." J'aurais même remplacé le "ou" par un "et" - la troisième proposition découlant, à mon sens, des deux premières.
L'athée, quant à lui, nie l'existence de Dieu, de toute divinité. C'est différent. Je n'apprécie pas la raideur psychologique des athées.
Je me considère moi-même comme agnostique (cela fait toujours bien en société ;-)) mais j'ai mis athée,,allez savoir pourquoi !!
Moi aussi, Blue Jam, je peux vous offrir quelque chose : se foutre de "ce qui fait bien en société". Et là, je peux dire que ma mère a été un bon exemple. Ce qui n'a pas échappé à Norma J, qui ne nous connaît pourtant pas... sauf à lire ici " Le tournesol..."
Tu as raison, Raymond. Mais me vient le souvenir d'artistes forcés de se dépêcher pour ne pas déplaire à leur mécène...