jeudi, avril 1 2010, 17:28
Superposition de regards
Par Lika Spitzer - Journal - Lien permanent
Moi, ça ne me dérange pas de fermer le tiroir de la commode sur un petit bout de collant qui dépasse. Mais aussitôt se superpose à mon regard celui de mon mari qui déteste les tiroirs mal fermés, ou fermés sur un morceau de vêtement coincé à l'extérieur. Alors, je rouvre le tiroir, repousse l'élément indésirable et referme le tiroir.
C'est amusant de constater qu'on peut voir les choses avec ses propres yeux, ou ceux d'un autre. Cette superposition des regards m'est précieuse pour faire le ménage. A seulement imaginer le regard d'un hôte, je me mets à nettoyer avec ardeur. Mais, ce sont les seules circonstances où je laisse se jouer cette superposition. Heureusement. Pour tout le reste je ne me fie qu'à ma propre vision des choses et à mes lunettes.
10 commentaires
Je me souviens qu'un jour, en quittant une exposition au musée Picasso, je vis tous les visages que je rencontrai en descendant l'escalier, comme si Picasso s'était superposé à mon regard : tous les gens que je croisai étaient des Picasso vivants !
Il est vrai qu'à l'époque je ne portais pas encore de lunettes !
Oui, j'ai eu la même réaction, un jour. Et dans des circonstances analogues. Je venais de voir plein de Picasso, et tous les visages des passants ressemblaient, parole, aux visages de Picasso ! C'est là que je me suis dit :" Mais... Picasso est un peintre... réaliste !"
Lunettes ou pas, je n'ai pas pensé un seul instant que c'était juste une "superposition". Pour moi, c'était une découverte, un fait.
Quelle coïncidence, Putzi Ouane ! (J'ai remarqué qu'au printemps il y a beaucoup de coïncidences. Comme il y a beaucoup d'étoiles filantes au mois d'août.)
Moi, bêtement (comme d’habitude), j'appellerai cette « superposition » de regard de l’empathie. Je suis sûr qu’il y aurait, chez Lévinas par exemple, un truc qui expliquerait mon sentiment mieux que je ne le puis faire… pardon ! Quelquefois le regard de l’autre est autrement plus important que le nôtre, ne serait-ce que parce qu’il va vraiment nous voir, nous et notre façon d’être, ou de ranger les collants dans les tiroirs de commode…
Cher Larry, malgré la sympathie que je peux avoir pour les lecteurs de Monsieur Emmanuel Lévinas, penseur qui m'inspire un immense et craintif respect - la sorte de respect que le Moïse de Michel-Ange inspirait à Freud, j'imagine - je me permets de te dire que je n'ai pas trouvé sympa que tu convoques Lévinas ici.
Car ce regard que j'imagine chez" l'Autre", dans le cas des travaux ménagers, ce n'est justement pas ce qu'il a d'essentiel - ni moi. Dans mon tiroir mal rangé, "l'Autre", s'il ne percevait de moi que la parcelle qui heurte son conformisme, et non quelque chose d'essentiel, voilà qui serait triste. Si j'essaie, malgré tout, de ne pas le choquer (de gros efforts,qui m'ont coûté des années d'écriture, avant qu'advienne chez moi une "normalité") c'est pour laisser advenir autre chose...
Quand tu vas revenir chez moi, tu verras comme tout te paraîtra clair dans ma maison... Peut-être alors, nous comprendrons-nous mieux ?
Mais on peut encore imaginer que le regard de l’autre découvrant le collant qui dépasse du tiroir de la commode soit aussi plein d'empathie, non ?
moi c'est le tube de dentifrice écrasé que je ne supporte pas, c'est nul mais ça date du temps (que les moins de 20 ans...) des tubes en métal qui se fissuraient si on les malmenait... sinon c'est normal ce que tu appelles la superposition, c'est juste une preuve d'attention à l'autre, un signe d'amour je trouve
Oui, Pierrot, je vois les choses comme toi. Cette attention à ce que l'autre ne supporte pas, c'est une preuve d'amour. Sais-tu ce que je fais, avec les nouveaux tubes de dentifrice entamés ? Je presse bien fort la partie où ol n'y a plus de dentifrice, et je fixe mes pliures par une grande épingle à lin en couleurs. Comme ça, quand on presse le tube, c'est le dentifrice qui vient tout de suite. Mais si tu détestais ça, bien sûr, j'adopterais ta méthode. Mais, c'est laquelle ?
Cher Larry, Corto m'avait rassurée, un jour, sur mon désordre, je ne me souviens plus si c'était sur son blog ou sur le mien. Mais je sais que le regard de Philippe sur le collant qui dépasse n'est pas un regard d'empathie. Et c'est la seule chose qui le dérange dans mon désordre. Or comme le souligne Pierrot, c'est un signe d'amour que de respecter son sentiment. Tu as raison. Simplement, amener Lévinas près de mes tiroirs m'a stressée. Pardonne-moi.
C'est simple, je ne peux "voir" l'ordre de mon petit appartement qu'en empreintant le regard d'un autre.
Quand j'ai pris possession des lieux, en 2002, je ne trouvais pas le réferent spectateur
qui aurait validé ou infirmé mon choix.
Aujourd'ui encore, je ne cesse de convoquer des yeux auxiliaires qui m'enjoignent de
faire les vitres, repeindre l'entrée, choisir du papier peint pour
le prochain embellissement, et surtout jeter, jeter, jeter. Au jour le jour des revues
conservées pour une relecture qui n'a jamais lieu, les vêtements que je ne
remettrai jamais...
Quand c'est fini, je peux respirer er remercier les yeux empreintés .
Jusqu'à demain...
Merci, Colibri, de cette fraternité entre nous, avec ce besoin d'yeux de ménagère pour se substituer aux nôtres... En fait, c'était devenu urgent de briquer "à donf", parce que le neveu d'une amie, atteint à 23ans d'une maladie grave, va être suivi dans un hôpital tout proche de chez moi, et peut-être loger chez nous avec sa fiancée. Et j'ignore si chez eux on peut manger terre... Je ne veux pas les traumatiser...
Jeter, jeter, oui, ou remiser à la cave, car j'en assez de décrasse,r à la cuisine, de jolis objets offerts dont je ne me sers pas (Sur l'un d'entre eux, d'un joli métal mat, je m'interroge. Est-ce une théière ou une cafetière ?) Nous n'avons pas assez de placards, voilà le problème.
Eh, Colibri pense à moi avant de jeter tes vêtements. Betty sait déjà que je suis le chaînon incontournable entre elle et la Croix-Rouge... A bientôt, colibrette.