mardi, février 16 2010, 16:59
Artistes et badauds
Par Lika Spitzer - Textes de jeunesse - Lien permanent
Pas bien grande, des vêtements cossus. Permanente nuageuse et figée de septua-octogénaire. Elle se poste devant tout le monde pour entrebâiller son sac, farfouiller dedans, croasser je ne trouve plus mon argent, faire tinter quelques pièces blanches avec ostentation dans le coffret. (Ce coffret, les deux musiciennes l'ont posé sur les plis d'une veste brodée déposée devant elles à même le sol du couloir de métro.)
— De quel pays viennent-elles, ces petites ? demande tout haut la vieille, sans paraître remarquer qu'elle dérange tout le monde. D'un pays slave, j'en suis sûre !
— Elles sont ukrainiennes, dis-je à voix basse.
— Oui bien sûr... Et de quel instrument jouent-elles ? Ce ne sont pas des balalaïkas, on voit bien...!
Elle s'adresse à chacun à la ronde, comme si elle négligeait que ce n'est pas elle qu'on veut écouter.
— Bandonéon, fais-je, et chut... ! (j'ai glissé un poignard dans mon murmure; et mon autre voisine de me sourire).
— Ah, un bandonéon, reprend la vieille toujours vivante. Mais oui ! Un instrument classique... elles jouent d'ailleurs du classique...
— Chants folkloriques.
— Mais du folklore classique, s'écrie l'increvable démon - qui me tourne le dos et s'adresse à une dame d'allure posée, arrivée là depuis quelques instants : et Ukrainiennes, et bandoura, et patati et patata...
Les chants étaient une merveille.
4 commentaires
Beau texte qui nous donne à voir et à entendre ces chants et ces démons.
D'ailleurs cela me rappelle le titre d'un livre fantastique "Démons et merveilles" de Lovecraft.
Pensées amicales,
Michèle
"en glissant un poignard dans mon murmure" Que j'eusse aimé la trouver cette expression ! Je n'aime pas ces vieilles qui emmerdent le monde avec leurs permanentes bleutées sur le sommet du crâne en guise de témoignage d'une jeunesse perdue...
Bises Lika
@ Michèle Je ne connais de "Démons et Merveilles" que la chanson que chantait Alain Cuny pour Marie Déa dans les Visiteurs du soir". J'irai voir dans Lovecraft - un être bien érane, si mes souvenirs ne me trahissent point... Merci, Michèle.
@Corto Chante encore pour moi, gentil merle blanc, j'aime ta chanson. (Je n'ai pas dit beau merle, tu remarqueras...) Sur la joue, biseunique, mais vraiment affectueuse.
Les chants étaient une merveille, sans doute, on ne peut que te croire sur parole, mais ce texte, on en a la preuve par 9, aussi sûr que 2 + 2 = 4
Moi aussi je peux être scientifique, et méthodique en plus !