Il était une fois une touriste égarée. Elle s'appelait Sottefille du nom d'une jeune héroïne de roman qu'elle avait admirée, et se traînait dans une sombre vallée.

Elle affirmait venir de X... (une contrée très riche). Et, comme les vieilles émigrées ruinées qui entassent dans leur pièce unique tout un bric-à-brac de meubles de style, elle gardait l'idée qu'elle était belle, gentille, intelligente, drôle, pathétique, vivante, pure, mûre, expérimentée, gracieuse, désirable, respectable, et, pour les personnes admirant les vertus du Mal, capable à l'occasion d'être cruelle avec résolution, égoïste et dépravée.

La vieille ne fut pas impressionnée.

— Qu'est-ce que c'est que cet attirail.

— Des bijoux de famille, lui répondit-on. Ils valent très cher.

— Tu parles, croassa la vieille. Enfin venez vous asseoir à côté de moi ; d'ici on ne sent pas le vent ; vous passerez votre bras par là.

Et Sottefille s'assit.

— Vos parents auraient mieux fait de vous tricoter un chandail. A quoi vous servent ces amulettes dans un pays comme celui-ci. Si vous partez vers l'Ouest, vous penserez à moi. J'y ai laissé toutes mes dents.

— Hh...

— Si vous allez dans le Nord aussi, d'ailleurs, vous penserez à moi. J'y ai perdu les centres de locomotion, comment appelle-t-on ça, enfin vous me comprenez.

— Et si je vais dans le Sud : ?

 — Essayez toujours, vous verrez bien.

Bref Sottefille décida de rester dans la vallée et de faire semblant d'y faire des choses extraordinaires.

C'est ainsi qu'elle buta sur un unijambiste déguenillé qui expliqua :

 — J'ai perdu ma jambe en allant vers l'Est. Vous n'auriez pas, tout symbolisme mis à part, un peu d'eau ?

 — Eh non, lui répondit Sottefille. Je suis dans le même cas que vous. J'ai marché je ne sais combien de temps sans voir ni source ni puits. Et les torrents sont à sec. J'ai l'impression quelquefois que je n'en réchapperai pas...

Et elle déploya en l'honneur de l’unijambiste sa plus belle mélancolie chipée naguère à un quadragénaire découragé.

 — Essayez le concours, conseilla l’unijambiste, vous avez vos chances. Lisez l'affiche : Le concours du parfait amour.  C'est l'entrée.

— Très bien,  dit Sottefille. J'y vais.

— Par ici, fit un homme à casquette dont le teint flamboyant et les yeux brouillés montraient qu'il avait bu. Vous n'avez pas de manuel sur vous, rien ?

— Non non, dit Sottefille.

Elle pénétra dans la cour d'honneur crasseuse, ténébreuse entre les hauts murs intérieurs de la Tour d'Eau-Vidée. Des gradins de fortune avaient été installés pour le jury formé en grande partie de femmes d'aspect sévère. Les candidates devaient avancer entre deux barrières de bois moisi jusqu'à l'endroit où elles allaient demeurer parquées, en attendant leur tour. Toutes mangeaient des yeux le comte d'Eau-Vidée, maigrichon dans sa tribune spéciale, et la plupart avaient des fleurs dans les cheveux.

— Soyez brèves, soyez brèves, répétait sans arrêt le gardien soucieux du mauvais temps.

Enfin ce fut le triomphe de Sottefille. Car quand elle en vint (un mot entraînant l'autre) à s'écrier Ecrasez-moi, le comte fort intéressé descendit de la tribune pour réaliser bien exactement ce qui lui était demandé; si bien que de Sottefille après les ovations et l'orage soudain qui dispersa les participants, il ne resta pas grand'chose; — quelques participants encore en vie avancent même qu'il n'aurait pas été nécessaire de l'enterrer.