jeudi, août 20 2009, 13:19
Erotisme de l'imparfait du subjonctif
Par Lika Spitzer - Journal - Lien permanent
En Bretagne j'ai lu L'Immoraliste, acheté presque
moisi, sans me douter que ses imparfaits du subjonctif allaient me
hanter.
En effet, comme nous sortions du supermarché, à ma propre surprise, je me suis
entendu dire à Philippe : "J'avais oublié que tu fusses garé si loin de
l'entrée." - L'effet Gide.
Si vaccinée que je me crusse
contre cet imparfait du subjonctif, ce vieil amoureux éconduit me revenait donc,
ensorcelant, que naguère je trouvais ridicule, moquais devant mes
amis sans avoir idée de l'envisager. Et hier encore, songeant à sa laideur quand il s'accouple aux verbes du premier groupe, je pensais qu'il ne
servait plus qu'à souligner ironiquement certains propos.
Quoi qu'il en soit, depuis quinze jours, j'ai abandonné mon vieux présent
de l'indicatif - époux loyal mais jugé ennuyeux pendant ces vacances - je l'ai jeté aux orties, pour tenter l'aventure excitante de l'imparfait du subjonctif. Je vivais trois vers du poème ROMAN :
Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au mois d'août.
Vous êtes amoureux - Vos sonnets La font rire.
Tous vos amis s'en vont, vous êtes mauvais goût.
Tu as raison Rimbaud, mais j'ai tant de joie à me plonger dans ma grammaire
préférée !
Amoureuse ignorante, je me régale secrètement des subtilités de ce subjonctif,
m'amuse de cet exemple de Monsieur Grevisse :
"On ne sache pas que M.de Boutiaguine eût besoin de se faire masser
!" - Aragon Semaine Sainte L P tome 1 p 157.
Sommes-nous beaucoup à jouir de l'élégance érotique, un brin sophistiquée, de
l'imparfait du subjonctif, qui habille de la soie la plus délicate la trivialité de
certains mots ?
Hum... Un peu trop "jolie", cette phrase, non ? Mais pardonnez-moi.
L'ouvrage de Monsieur Grevisse m'attend, dont j'aime le titre décent : Le
bon usage...
4 commentaires
Je souscris et en même temps m'inscris en faux: je ne trouve pas érotique le subjonctif imparfait en général, mais suprêmement érotiques les subjonctifs imparfaits d'André Gide. Il me semble que c'est la générosité érotique de Gide, impossible à canaliser, qui se loge dans ce corset grammatical et le colore et l'anime d'une tension délicieuse. Je dois confesser que la grammaire Grevisse ne me procure pas les mêmes émois.
J'aime Gide particulièrement pour son art du subjonctif. Pendant que je pense au plaisir qu'il (Gide) me procure me vient inexplicablement le souvenir des paroles de cette chanson: "Je l'aime pour ça" et la chanson continue: "parce qu'elle a les plus gros". Je traduis: Gide a les plus gros imparfaits du subjonctifs c'est pour ça que je l'aime. Et la chanson poursuit: "Je l'aime pour ça, parce qu'il n'y en a jamais de trop". C'est bien ça : jamais trop de subjonctifs dans Gide ! Et la chanson : "Et qu'avec elle je peux faire Coucouroucou Roploplo." Jusqu'à la gueule je peux m'enfouir dans les subjonctifs infestés de l'érotisme irréductible de Gide.
Voilà ce que cela donne en pratique: un jour, j'embarque dans un avion A320 de Toulouse à Paris avec le journal d'André Gide. Je lis des récits de promenades d'un jeune homme bouleversé par des petits paysans qui se baignent dans une rivière. Il semble que lui reste assez habillé et à une certaine distance. J'en oublie la démonstration des consignes de sécurité et les instructions pour la manoeuvre du gilet de sauvetage en cas d'amérissage, peu probable au demeurant, entre Toulouse et Paris. L'avion vole maintenant. La jeunesse de Gide avance, ponctuée de ces imparfaits fulgurants du subjonctif. L'hotesse s'annonce avec son chariot. La phrase que je lis me fouette le sang, mon enthousisame déborde. J'avise à mon côté un honnête homme d'affaire en costume réglementaire penché sur son ordinateur portable. L'érotisme démoniaque de Gide s'empare de moi et me pousse innocemment à l'action: je lève le nez du livre avec un rire sur les lèvres et un air qui en dit long. Je tourne des trois-quarts vers mon voisin et l'apostrophe d'un : "Vous savez ce que je viens de lire dans mon livre ?" Il considère sérieusement mon tome de La Pleïade et attend poliment que je finisse ma phrase. Je lis à haute voix : "Il n'eut de cesse qu'il ne m'eût emmené au bordel." Je me tais triomphalement. Mon voisin vire à la panique impuissante, muette, paralysante. Il ne sait pas quoi faire de la situation, de lui, de moi. L'arrivée de l'hotesse qui propose des boissons met fin à l'incongruité. Après son départ, je me replonge dans la lecture et mon voisin dans ses tableaux de chiffres.
J'aime Gide pour ça, parce qu'il a les plus gros.
Mortel le commentaire, Véra !
Je suis pliée en douze aussi !
Ma qu'est-ce qu'on se marre avec ces meufs ! Et dire qu'on aurait pu voir le jour chez les Petit !!! On a eu chaud.
Si je n'avais qu'un mot à dire, je citerai Desproges : "pouf, pouf".
Et j'admire le talent acrobatique de Vera et son rapprochement
fantastique entre Gide et Elmer Food Beat et sa poésie. Comment ne pas
tomber sous le charme des "Moi ce que j'aime chez Daniela, c'est que l'on peut
s'y mettre à trois" ou encore "Elle me vend des saucissons, le mien est en promotion"
et le bouquet final "Quand il est temps de passer à l'action, Petit lapin couvre toi la carotte si tu sens qu'elle en a après tes rognons".
Le voilà le moyen que l'éducation nationale devrait utiliser pour redorer le blason de la grammaire française !
Ah, quand le gaz part, "pouf, pouf" on est emporté !
En fait je dis n'importe quoi, parce que je nais pas où se trouve le "pouf, pouf" de Desproges. Mais j'adore ton esprit. Bonheur : la relève est là !