L’immense rectangle d’une galerie de verre et d’acier poli, entourant un petit bois de pins, offre sur tout un côté du couloir le spectacle des arbres, tandis que nous foulons la moquette pourpre avant de gagner les salles de lecture.

Mais arrivée trop tard, il m’a fallu, dimanche, attendre qu’une place se libère (rarement avant dix–sept heures, m’a–t–on dit) dans cette salle G où je viens chaque jour à la recherche d’Emily Dickinson. J’ai avisé un fauteuil libre dans le couloir et me suis assise, éblouie de lumière. J’ai contemplé le ciel pâle, les quelques nuages blancs, et admiré – soudain marqué par la noire corneille – le vert vigoureux des grands pins qui dominent leur enclos de verre, leurs cimes touffues balançant leur fourrure heureuse dans le vent…

Mais baissant encore les yeux, j’ai vu des arbres malingres, que je n’ai pas reconnus tout de suite. Fragiles comme de sèches graminées, pendaient les branches brunies, laissées pour mortes en somme, le long de l’arbre livide : c’étaient des bouleaux… ! J’ai sorti alors mes feuilles vierges, mon stylo, et de mon mieux j’ai voulu célébrer le bouleau intrépide, créé pour la liberté des sommets ; qui ne craint ni le vent ni le froid ; avide seulement de lumière… J’écrivais, je raturais, j’exprimais mon mécontentement à voir que la lumière ne soit là que pour les pins, tandis que sous leur protection trompeuse, débiles risquaient de demeurer les bouleaux.

Venue dans ce lieu prestigieux pour approcher l’univers du poète Emily Dickinson, je l’ai sentie, Emily, parente de ces arbres pâles dont les forces vives ont été élégamment emmurées, et qui sans assez de lumière – dédaignés même des corneilles – s’essoufflent à survivre… Lentement s’en allait le soleil pendant que j’écrivais ; il n’irradiait plus que l’acier des murs de verre, en face, tandis que s’allumaient pour nous à l’intérieur, non loin du sommet peu à peu assombri des pins, la tendre lumière de petits cylindres de verre dépoli, où se lisait le mot silence, en douces lettres verticales, sœurs du silence des arbres.
      Quel printemps pour les bouleaux, bientôt ? quels poèmes de vives feuilles, sur leurs branches fragiles ? J’avais hâte de retrouver Emily. Il était dix–sept heures.

       2004 ou 2003, ou... ?  Qu'importe, avec Emily Dickinson on apprend à compter en années-lumière, et cela fait du bien