– Plutôt que d'être fier de quoi que ce soit j'aime mieux me jeter au fond de la mer pieds et poings liés une pierre autour du cou et du coton dans les oreilles. Je vous laisse.

– Vous entendez ce que dit votre fils ?

– Ne faites pas attention. Depuis sa maladie il n'est plus le même.

– Il a été malade ?

– Je ne sais pas. C'est depuis cette retraite l'année de ses douze ans au collège des Frères... ça lui a détraqué quelque chose. Vous savez on leur fait faire des retraites de trois jours avec sermons et réflexions sur les carnets. Enfin mon fils me revient un soir complètement décomposé. Impossible de lui tirer un mot. Je me dis c'est le recueillement ça va passer mais ça ne passait pas. Alors je cherche le carnet je n'aime pas ces procédés mais quelquefois on est bien obigé quand on a affaire à des enfants qui ne vous disent rien et qu'est que je vois souligné de rouge et  encadré ? LE PECHE D'ORGUEIL EST LE PLUS GRAND DES PECHES SI VOUS TIREZ ORGUEIL DE VOS VERTUS VOS SOUFFRANCES EN ENFER SERONT PLUS ATROCES QUE CELLES DE L'ASSASSIN ET MEME DU SACRILEGE. Oui voilà les horreurs qu'on leur fait copier. Et mon fils qui était un ange studieux gentil cherchant mille fois le jour à vous faire plaisir le voilà que ne fait plus rien de peur d'en tirer orgueil ! Lui qui était si bien parti !

– Eh oui on fait ce qu'on peut pour l'éducation mais il y a les impondérables...

– J'ai eu beau le raisonner...

– Mais qu'est-ce qu'il fait alors ?

– Rien de plus que les autres. Je veux dire qu'il est d'un naturel assez facile. Même sans faire aucun effort il est supportable. Evidemment si on veut l'encourager à progresser ou à être fier de quelque chose vous avez vu tout à l'heure... Vingt ans et même pas le certificat d'études. Il est tranquille pour l'orgueil.

– Mon Dieu. Je comprends maintenant les pieds et les poings liés la pierre le coton dans les oreilles.

– Le coton ça n'a pourtant rien à voir. Il en met toujours pour entrer dans l'eau depuis qu'il a eu son otite.

– Ah. Mais que va-t-il devenir.

– Il ne sait pas. Je l'admire. C'est dur pour lui d'être médiocre.

– Oui.

– Doué comme il est. Et aimant travailler.

– Il n'a jamais songé à la psychanalyse ?

– Quoi ! Il a bien trop peur de se prendre pour un cas intéressant. Il retomberait vite dans son orgueil. Il a refusé avec une violence...

– Mais dites-moi. De tant d'intransigeance il n'en tire pas orgueil ?

– Pour l'amour du Ciel taisez-vous. Si vous allez lui fourrer ça dans la tête il deviendra vraiment fou. Pour le moment les choses sont bien comme elles sont. Se faire entretenir par moi qui n'ai que la petite retraite de mon mari c'est encore ce qu'il a trouvé de plus médiocre. Si je peux faire ça pour lui n'est-ce pas...

– Comme vous devez l'aimer...

– Je fais ce que je peux. Et je sais bien qu'il y a des gens pour me critiquer.