le blog de Lika Spitzer

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Textes de jeunesse

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poème très vieux et très petit

Régine est séparée
de moi par une forêt de
cheveux frais

Le vent s'est levé
il emporte sa voix
et moi je ne veux pas

Vent, ô vent !
Régine
est séparée de moi !

           été 73

(Je savais que j'avais gribouillé cela au stylo bille, dans le Zarathoustra  que je lisais quand j'étais infirmière, salle Vaquez, à Laënnec, auprès de la si libre et tranquille Régine. Je suis contente de retrouver ce vieux livre tout écorné.)

Artistes et badauds

Pas bien grande, des vêtements cossus. Permanente nuageuse et figée de septua-octogénaire. Elle se poste devant tout le monde pour entrebâiller son sac, farfouiller dedans, croasser je ne trouve plus mon argent, faire tinter quelques pièces blanches avec ostentation dans le coffret. (Ce coffret, les deux musiciennes l'ont posé sur les plis d'une veste brodée déposée devant elles à même le sol du couloir de métro.)

— De quel pays viennent-elles, ces petites ? demande tout haut la vieille, sans paraître remarquer qu'elle dérange tout le monde. D'un pays slave, j'en suis sûre !

— Elles sont ukrainiennes, dis-je à voix basse.

— Oui bien sûr... Et de quel instrument jouent-elles ? Ce ne sont pas des balalaïkas, on voit bien...!

Elle s'adresse à chacun à la ronde, comme si elle négligeait que ce n'est pas elle qu'on veut écouter.

— Bandonéon, fais-je, et chut... ! (j'ai glissé un poignard dans mon murmure; et mon autre voisine de me sourire).

— Ah, un bandonéon, reprend la vieille toujours vivante. Mais oui ! Un instrument classique... elles jouent d'ailleurs du classique...

— Chants folkloriques.

— Mais du folklore classique, s'écrie l'increvable démon - qui me tourne le dos et s'adresse à une dame d'allure posée, arrivée là depuis quelques instants : et Ukrainiennes, et bandoura, et patati et patata...

Les chants étaient une merveille.

Les malheurs de Sottefille

Il était une fois une touriste égarée. Elle s'appelait Sottefille du nom d'une jeune héroïne de roman qu'elle avait admirée, et se traînait dans une sombre vallée.

Elle affirmait venir de X... (une contrée très riche). Et, comme les vieilles émigrées ruinées qui entassent dans leur pièce unique tout un bric-à-brac de meubles de style, elle gardait l'idée qu'elle était belle, gentille, intelligente, drôle, pathétique, vivante, pure, mûre, expérimentée, gracieuse, désirable, respectable, et, pour les personnes admirant les vertus du Mal, capable à l'occasion d'être cruelle avec résolution, égoïste et dépravée.

La vieille ne fut pas impressionnée.

— Qu'est-ce que c'est que cet attirail.

— Des bijoux de famille, lui répondit-on. Ils valent très cher.

— Tu parles, croassa la vieille. Enfin venez vous asseoir à côté de moi ; d'ici on ne sent pas le vent ; vous passerez votre bras par là.

Et Sottefille s'assit.

— Vos parents auraient mieux fait de vous tricoter un chandail. A quoi vous servent ces amulettes dans un pays comme celui-ci. Si vous partez vers l'Ouest, vous penserez à moi. J'y ai laissé toutes mes dents.

— Hh...

— Si vous allez dans le Nord aussi, d'ailleurs, vous penserez à moi. J'y ai perdu les centres de locomotion, comment appelle-t-on ça, enfin vous me comprenez.

— Et si je vais dans le Sud : ?

 — Essayez toujours, vous verrez bien.

Bref Sottefille décida de rester dans la vallée et de faire semblant d'y faire des choses extraordinaires.

C'est ainsi qu'elle buta sur un unijambiste déguenillé qui expliqua :

 — J'ai perdu ma jambe en allant vers l'Est. Vous n'auriez pas, tout symbolisme mis à part, un peu d'eau ?

 — Eh non, lui répondit Sottefille. Je suis dans le même cas que vous. J'ai marché je ne sais combien de temps sans voir ni source ni puits. Et les torrents sont à sec. J'ai l'impression quelquefois que je n'en réchapperai pas...

Et elle déploya en l'honneur de l’unijambiste sa plus belle mélancolie chipée naguère à un quadragénaire découragé.

 — Essayez le concours, conseilla l’unijambiste, vous avez vos chances. Lisez l'affiche : Le concours du parfait amour.  C'est l'entrée.

— Très bien,  dit Sottefille. J'y vais.

— Par ici, fit un homme à casquette dont le teint flamboyant et les yeux brouillés montraient qu'il avait bu. Vous n'avez pas de manuel sur vous, rien ?

— Non non, dit Sottefille.

Elle pénétra dans la cour d'honneur crasseuse, ténébreuse entre les hauts murs intérieurs de la Tour d'Eau-Vidée. Des gradins de fortune avaient été installés pour le jury formé en grande partie de femmes d'aspect sévère. Les candidates devaient avancer entre deux barrières de bois moisi jusqu'à l'endroit où elles allaient demeurer parquées, en attendant leur tour. Toutes mangeaient des yeux le comte d'Eau-Vidée, maigrichon dans sa tribune spéciale, et la plupart avaient des fleurs dans les cheveux.

— Soyez brèves, soyez brèves, répétait sans arrêt le gardien soucieux du mauvais temps.

Enfin ce fut le triomphe de Sottefille. Car quand elle en vint (un mot entraînant l'autre) à s'écrier Ecrasez-moi, le comte fort intéressé descendit de la tribune pour réaliser bien exactement ce qui lui était demandé; si bien que de Sottefille après les ovations et l'orage soudain qui dispersa les participants, il ne resta pas grand'chose; — quelques participants encore en vie avancent même qu'il n'aurait pas été nécessaire de l'enterrer.

 

 

Ma vie


J'ai été longtemps devant ma vie comme un affamé devant une table où il n'est pas reçu. Les mets succédaient aux mets, et jamais je ne pouvais m'approcher.

Aujourd'hui mes projets sont moins grandioses, je dîne de fromage et de pain assise au frais sur un banc.

Un fils médiocre

– Plutôt que d'être fier de quoi que ce soit j'aime mieux me jeter au fond de la mer pieds et poings liés une pierre autour du cou et du coton dans les oreilles. Je vous laisse.

– Vous entendez ce que dit votre fils ?

– Ne faites pas attention. Depuis sa maladie il n'est plus le même.

– Il a été malade ?

– Je ne sais pas. C'est depuis cette retraite l'année de ses douze ans au collège des Frères... ça lui a détraqué quelque chose. Vous savez on leur fait faire des retraites de trois jours avec sermons et réflexions sur les carnets. Enfin mon fils me revient un soir complètement décomposé. Impossible de lui tirer un mot. Je me dis c'est le recueillement ça va passer mais ça ne passait pas. Alors je cherche le carnet je n'aime pas ces procédés mais quelquefois on est bien obigé quand on a affaire à des enfants qui ne vous disent rien et qu'est que je vois souligné de rouge et  encadré ? LE PECHE D'ORGUEIL EST LE PLUS GRAND DES PECHES SI VOUS TIREZ ORGUEIL DE VOS VERTUS VOS SOUFFRANCES EN ENFER SERONT PLUS ATROCES QUE CELLES DE L'ASSASSIN ET MEME DU SACRILEGE. Oui voilà les horreurs qu'on leur fait copier. Et mon fils qui était un ange studieux gentil cherchant mille fois le jour à vous faire plaisir le voilà que ne fait plus rien de peur d'en tirer orgueil ! Lui qui était si bien parti !

– Eh oui on fait ce qu'on peut pour l'éducation mais il y a les impondérables...

– J'ai eu beau le raisonner...

– Mais qu'est-ce qu'il fait alors ?

– Rien de plus que les autres. Je veux dire qu'il est d'un naturel assez facile. Même sans faire aucun effort il est supportable. Evidemment si on veut l'encourager à progresser ou à être fier de quelque chose vous avez vu tout à l'heure... Vingt ans et même pas le certificat d'études. Il est tranquille pour l'orgueil.

– Mon Dieu. Je comprends maintenant les pieds et les poings liés la pierre le coton dans les oreilles.

– Le coton ça n'a pourtant rien à voir. Il en met toujours pour entrer dans l'eau depuis qu'il a eu son otite.

– Ah. Mais que va-t-il devenir.

– Il ne sait pas. Je l'admire. C'est dur pour lui d'être médiocre.

– Oui.

– Doué comme il est. Et aimant travailler.

– Il n'a jamais songé à la psychanalyse ?

– Quoi ! Il a bien trop peur de se prendre pour un cas intéressant. Il retomberait vite dans son orgueil. Il a refusé avec une violence...

– Mais dites-moi. De tant d'intransigeance il n'en tire pas orgueil ?

– Pour l'amour du Ciel taisez-vous. Si vous allez lui fourrer ça dans la tête il deviendra vraiment fou. Pour le moment les choses sont bien comme elles sont. Se faire entretenir par moi qui n'ai que la petite retraite de mon mari c'est encore ce qu'il a trouvé de plus médiocre. Si je peux faire ça pour lui n'est-ce pas...

– Comme vous devez l'aimer...

– Je fais ce que je peux. Et je sais bien qu'il y a des gens pour me critiquer.

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