le blog de Lika Spitzer

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Alexandre Romanès, poète gitan

     Olive m'a envoyé un livre de poèmes intitulé Paroles perdues. J'ai commencé à le lire très tard dans la nuit, sous la petite lampe qui ne réveille pas Philippe. Et comme je venais de coller un post-it sur la page de mon poème préféré, je découvrais deux mots d'Olive, tracés au crayon, presque invisibles : "Mon préféré". Le voici :
     D'où viennent ces gens
     qui veulent tout,
     leurs grandes décisions,
     leurs belles phrases ?
     Moi, je préfère la brindille
     sur le bord du chemin,
     et les tresses impeccables
     des petites filles.
     Bien sûr, j'en aime d'autres, que le crayon presque muet d'Olive a caressés, et puis celui-là, qu'elle a sûrement aimé mais dont elle n'a rien dit, par délicatesse :
     Mes filles poseront peut-être
     la main sur ma pierre tombale.

     La fleur attentive regarde,
     les nuages et les oiseaux passent.

Pour être libre...

     Pour être libre, il suffit de l'être, sans en demander l'autorisation de personne. Il faut se faire une hypothèse sur son propre destin, et s'y tenir, sans se soumettre ni céder aux circonstances. Une telle liberté exige de l'homme de véritables ressources intérieures, un niveau élevé de conscience individuelle, et le sens de la responsabilité devant lui-même et, par là, devant les autres.
     Andréï Tarkovski

Picoré dans Le Journal de Paul Léautaud

     Contente de rouvrir ce gros livre qu'on a failli ne pas me rendre. Mais là j'avais insisté. Il s'agit du Journal de Paul Léautaud. J'adore picorer de-ci, de-là, dans ces prés-là (choix paru au Mercure de France en 1968).
     Me voilà chez lui, le mercredi 13 juin 1923. Maurice Martin du Gard et Jacques Guenne entreprennent Léautaud pour ce passage : Libéré. Il est remarquable que le même mot s'emploie pour les soldats et pour les forçats; qu'ils voudraient voir caviardé. Et Léautaud :
     Je leur ai dit : "Quoi qu'on écrive, on contente les uns et mécontente les autres. Le chauvin est ridicule aux yeux des esprits libres, l'internationaliste est odieux au patriote. L'athée est odieux au catholique pratiquant et l'écrivain de sacristie est un tartuffe et un niais aux yeux du libre penseur. On n'écrit pas en s'occupant de ces choses. Le respect du lecteur ? Et le respect qui m'est dû comme écrivain et qui consiste à me laisser écrire librement ?"
     A la page de garde de ce livre, j'avais écrit au crayon :
     Ma société est parmi les artistes morts - ou lointains. Et aussi parmi les vivants VIVANTS, généreux, courageux, chaleureux; même s'ils n'entendent pas grand chose à l'art. Je n'ai pas la chance d'être soutenue dans mon travail par ceux qui m'aiment. Voilà sans doute pourquoi j'écris si peu - ce dont personne ne se plaint; pas même moi.

Le parrain de Marie Noël

      Marie Noël écrit le 28 septembre 1938 :
     Mort de mon parrain, Raphaël Périé,
     Le vieux sage au beau visage de cheik arabe qui m'a révélé un instant le bonheur du monde.
     Quelle ignorante j'étais sans lui !
     En ce temps-là, j'étais jeune et j'avais soif : il m'a donné à boire.
     J'étais jeune et laide : il m'a fait croire que j'étais belle.
     J'étais sage et j'avais froid : il m'a permis d'être un peu folle et d'avoir chaud.
     J'avais peur et je tremblais : il m'a encouragée.
     Je craignais Dieu, je craignais les gens, je craignais mon père et ma mère : il m'a rassurée.
     Je me cachais en moi, je me cachais dans l'ombre, je me cachais en Dieu pour n'être pas trouvée : il m'a prise et ramenée sur la terre en plein soleil.
     (...)
     Elle poursuit pendant plus d'une page, et j'avais souligné au crayon :
     J'avais le cœur emmailloté d'obéissance et de saint tremblement.
     Intitulé Notes intimes, le livre a été publié chez  Stock en 1959.
     Emily Dickinson n'a pas eu la chance d'être ainsi secourue.


Quand on est épuisé

     Je serais bien allée faire une sieste, mais je repense encore à ce que m'a raconté mon amie Annie avant-hier.
     Epuisée, elle avait quand même voulu travailler son piano, et à sa grande surprise, elle avait eu l'impression de mieux travailler que d'habitude. Ensuite, venu lui donner sa leçon (elle ne peut plus guère se déplacer, et le piano est sa seule joie), son professeur l'a complimentée sur ses progrès et lui a dit son bonheur de travailler avec elle.
     Que l'on puisse mieux travailler quand on épuisé, c'est nouveau pour moi. Mais pourquoi pas. Prendre un double expresso au lieu de faire la sieste n'est peut-être pas une bonne idée, puisque je me rappelle avoir vu en photo des toiles d'araignée de formes toutes bizarres après qu'on leur ait donné un peu de caféine. Cela aussi m'avait marquée. Toute une organisation à revoir...

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